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fils. Ce garçon, comme il arrive souvent, ressemblait à sa mère, mais les qualités de la femme de ménage aboutissaient chez l’enfant à l’égoïsme étroit, commun et intéressé. Son père avait d’abord voulu l’élever, puis il reconnut vite chez Pierre une irréparable médiocrité, avec un fonds de méchanceté froide. Il se dégoûta de cette éducation, que ses occupations forcées rendaient difficile et peu efficace. Il mit son fils au lycée, comme interne, puis l’envoya à Paris, et le jeune homme, à qui son père servait une pension assez forte, restait quelquefois une année et plus sans rentrer à Eyda.

Quelques années après ce fils, une fille était venue, que Mme Lacoste avait appelée Céline. Et dans cette route de Clermont à Paris, qu’il savait bien accomplir pour la dernière fois, ce n’étaient pas les souvenirs de sa triste jeunesse ou de son mariage sans flamme qui s’offraient le plus volontiers à la mémoire du docteur Lacoste : il les évoquait par contraste, pour que la figure de sa fille se détachât au milieu d’une plus pure lumière. — L’amour d’un père ou d’une mère a cela de précieux et de rare que, n’étant point né d’attraits présens et passagers, il embrasse les enfans tout entiers depuis la première heure de leur vie. Aussi M. Lacoste retrouvait-il sous toutes ses formes l’image de cette fille qu’il avait aimée à tous les instans, et il revoyait les diverses toilettes qui avaient le mieux convenu aux divers âges de sa gracieuse beauté. Comme ces souvenirs affluaient en lui avec une abondance extraordinaire, il ressentit un bonheur amer à les rappeler par ordre, pour mieux approfondir sa douleur, et de crainte que la confusion des temps ne lui dérobât un des chers détails de ce passé.

Comme il s’ennuyait de nouveau lorsqu’elle lui était née! Il aimait sa femme sans doute, mais il gardait tant de choses sans les jamais dire, qu’il la considérait malgré lui comme un être un peu inférieur. Il s’était répété si souvent qu’il aurait un second fils, mais que ce fils ressemblerait au premier; il y eut donc pour lui dans la venue de Céline quelque chose de doux et d’inespéré, et cette âme d’athée, habituée à toujours attendre le pire, jouit délicieusement de ce bonheur auquel elle avait renoncé par avance.

Dans les premières années cependant, Céline grandissait sans qu’il l’aimât autant qu’il devait faire plus tard. Elle n’était guère à ses yeux qu’une gentille enfant. Ce fut par un soir d’automne, quand elle avait cinq ans, qu’il comprit pour la première fois l’exquise sensibilité de son enfant. Ce soir-là, il rentrait de ses visites profondément attristé : une jeune paysanne qu’il avait soignée et sauvée de la mort le mois d’auparavant s’était enfuie à Paris avec le fils d’un riche notaire. Le médecin se repentait presque d’avoir rendu cette malheureuse à la vie. Il se demandait si nous faisons du bien ou du