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Il avait rencontré un étudiant pauvre et sérieux, ce même Durin qui devait lui signifier son arrêt de mort. À sa suite, il s’était lancé dans la science. Il n’était pas assez fort pour ces études : elles lui furent funestes. Élevé par le vieil aumônier de son lycée, resté chrétien jusqu’à l’âge d’homme, il abjura ses croyances une à une sous la parole de son ami. Il appartenait à cette époque et à cette famille d’esprits dont le délicat et malheureux Jouffroy a écrit la confession ; un sentiment trop sérieux de la vie lui interdisait comme un crime le doute et l’indifférence. La foi déracinée entraînait et arrachait avec elle les parties les plus nobles et les plus vives de son cœur. Il connut les révoltes aussitôt réprimées, les retours désolés vers un passé à jamais évanoui, les regrets si voisins des remords, et toute cette lamentation dont l’écho magnifique remplit encore les chants de nos grands poètes. Lui aussi, comme Henri Heine, il tendit les mains vers les étoiles indifférentes ; lui aussi, il étouffa dans cet univers géométrique où l’emprisonnait la science, et il cria : — Est-ce là une réponse ? — La lueur mystique s’était éteinte pour ne plus se rallumer.

Ces idées dévorantes le préservèrent presque absolument de la passion et de la débauche. Cinq années durant, il apprit et il travailla sans relâche ; puis son cœur se détendit, la tendresse domina, et, las de cette science pure qui le glaçait, il quitta Paris. On était à un moment du siècle où les résolutions extrêmes et les généreuses utopies n’étonnaient pas les jeunes gens : celui-ci se fit médecin de campagne à Eyda.

Eyda est un petit village d’Auvergne, situé à 22 kilomètres environ de Clermont, parmi les montagnes et les bois, au bord d’un lac. Le lac d’Eyda n’est pas très grand, mais l’eau en est d’une pureté admirable. Ce n’est pas l’azur sombre du lapis, la turquoise est plus pâle, un beau saphir trempé de soleil donnerait seul l’idée de cette nappe d’eau transparente. Des ajoncs en garnissent les bords, et trois vieilles barques de pêcheurs s’y promènent en toute saison. Le docteur Lacoste fit bâtir au bord de ce lac une maison entourée d’un verger. Il desservait quelques bourgs de la plaine et plusieurs hameaux perdus dans les montagnes. Comme sa fortune personnelle lui permettait de ne pas exiger beaucoup de ses malades, il fut vite célèbre dans tout le pays. L’action utile et la contemplation des champs apaisèrent par degrés ses tristesses philosophiques, dont toute l’amertume s’amassa au fond de son âme sans plus remonter à la surface. Bientôt il se maria. Il choisit une fille bourgeoise ; il la voulut très simple, par haine des poètes et des romanciers, qu’il avait trop aimés autrefois. Il fut, non pas heureux, mais content, et la seule douleur un peu vive de cette époque lui vint de son