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aurait dû être pris depuis plusieurs années, car le péril ne date pas d’aujourd’hui.

Il faut d’abord faire remarquer que, d’après le décret de prairial, il est rigoureusement interdit d’établir un cimetière dans l’intérieur des villes; or Paris en renferme quatorze[1]; je sais que la loi d’annexion a réservé la question, mais tout commande de la résoudre au plus tôt. La totalité de la superficie des champs de sépulture réservés exclusivement à Paris est d’un peu moins de 140 hectares. Dans cette étendue, l’on a donné aux tombes tout l’espace qu’on pouvait leur accorder, on a même été forcé de ne plus tenir compte des règlemens et d’envahir les avenues. En effet, pendant la période d’investissement, la mortalité s’étant accrue dans des proportions extraordinaires, il n’était pas possible d’aller chercher un nouvel asile pour les morts au-delà des fortifications; faute de mieux, on a pris les allées : dans plus d’un cimetière, les sépultures se sont étendues jusque sur les chemins. En retirant de ces 140 hectares ce qui est occupé par les bâtimens d’administration, les routes indispensables, les concessions perpétuelles, les concessions temporaires, les tranchées gratuites, qu’on ne peut rouvrir sans danger, on s’aperçoit avec stupeur que l’on reste en présence d’une superficie disponible équivalant à 34 hectares 1/2. Or, pour satisfaire aux besoins normaux de Paris pendant sept ans et en admettant qu’aucune cause fortuite ne vienne modifier la moyenne de notre mortalité ordinaire, si l’on veut supprimer l’insupportable fosse commune et accorder une durée double aux concessions temporaires, il faut 143 hectares au moins; mais en réalité il en faudrait 170, car on doit toujours se mettre en mesure de parer à des éventualités possibles, et encore n’aurait-on aucun emplacement réservé pour les concessions perpétuelles, dont les exigences représentent 1 hectare par année. Il nous manque donc quatre fois ce que nous avons. Si l’on n’avise pas, il sera nécessaire de rendre aux sépultures banales des terrains saturés outre mesure, et qui vont bientôt rappeler les Innocens.

On demande à la terre un travail qu’elle ne peut fournir : on veut que les tranchées gratuites, — où 20 centimètres seulement séparent les bières, — dévorent une énorme masse de corps en cinq ans. Cela est normal pour la première période; pour la seconde, c’est déjà difficile ; à la troisième, c’est impossible : la terre, repue de matières animales, refuse de faire son œuvre. Lorsqu’une fosse commune est retournée pour la troisième fois, on est presque certain d’y retrouver les corps entiers : ils se sont saponifiés. En 1851, on fit des fouilles dans la partie du cimetière du Sud abandonnée

  1. Quatorze cimetières intérieurs, six extérieurs.