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des monumens couvrant les 12,800 concessions perpétuelles qu’il renferme ont exigé de sérieux travaux pour s’appuyer sur des fondations solides[1] ; il n’en est pas moins très peuplé, et depuis l’inauguration a reçu 422,506 cercueils. C’est là que dort Dumont-d’Urville, sous une sorte de colonne dont la forme étrange évoque le souvenir des cultes phéniciens. Au sommet d’un tertre se dresse une colonnette brisée; la pierre, engravée d’inscriptions, usée par les couteaux, laisse à peine lire des noms et une date : Bories, Goubin, Pommiers, Raoulx, — 21 septembre 1822. Ce son les quatre sergens de La Rochelle, retrouvés après 1830 dans la partie du cimetière des hôpitaux réservée aux suppliciés. On leur a élevé ce tombeau, qui paraît entretenu encore avec quelque soin.

Sous un fouillis d’arbres, à côté de tombes nombreuses, on aperçoit une pierre, — une borne plate, — pas un nom, pas une date, pas un mot. Dans la nuit du 24 août 1847, à une heure et demie du matin, on apporta un cadavre mystérieux qui fut enterré là; nul ne l’avait suivi, si ce n’est un des plus hauts personnages du temps. Un prêtre récita les prières, à la clarté douteuse des lanternes, et donna l’absoute à ce corps, dont les gardiens mêmes ignoraient le nom. On combla la fosse et l’on refoula la terre sur celui que l’on eût qualifié jadis de très haut et très puissant seigneur, mais qui n’était en réalité qu’un criminel vulgaire et maladroit : le duc de Choiseul-Praslin. Cette tombe inspire grande pitié; elle est plus qu’abandonnée, elle est maudite, il n’y pousse même pas les vertes herbes que je vois sur les immenses tranchées où l’on a enfoui 1,634 fédérés après la défaite de la commune par l’armée française.

Nos cimetières sont tranquilles et respectés. Des gardiens, qui sont tous d’anciens militaires, s’y promènent jour et nuit, surveillent les promeneurs et savent bien voir. A peine, par-ci par-là, signale-t-on quelque vol de couronnes, et souvent celles-ci sont enlevées par de pauvres gens qui veulent honorer la tombe de leur enfant, de leur femme, et qui n’ont pas de quoi acheter ce que leur langage prétentieux appelle « un emblème de douleur. » Cependant, il y a vingt-six ans, tous les cimetières de Paris furent en rumeur, et les gardes armés faisaient des rondes nocturnes pour saisir un être insaisissable que l’on n’apercevait jamais, mais dont le passage

  1. Il est absolument indispensable d’asseoir les cimetières sur des terrains placés loin de toute excavation; l’accident qui s’est produit récemment au Père-Lachaise en est la preuve. Dans la nuit du 7 au 8 février dernier, la voûte du tunnel du chemin de fer de ceinture s’est effondrée dans la partie qui passe sous le cimetière. Malgré le zèle que l’inspection générale des cimetières et l’administration du chemin de Ceinture ont déployé, dix-neuf corps ont disparu; il faudra attendre pour les retrouver que les travaux de reconstruction du tunnel soient fort avancés.