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n’est pas grand à Paris, car au 1er janvier 1874 il ne s’élevait qu’au chiffre de 67,216 pour tous nos cimetières.

Les concessions temporaires donnent droit d’occuper, pendant cinq ans, une fosse isolée de toute tombe voisine « de trois ou quatre décimètres sur les côtés, et de trois à cinq décimètres à la tête et aux pieds, » selon les termes du décret de prairial. Il est inutile d’en dire le nombre, qui varie incessamment, puisque la ville ressaisit les terrains à l’expiration du bail et les approprie à d’autres sépultures. Les morts se pressent tellement dans nos cimetières que l’on n’a pas le temps d’attendre ; il faut se hâter de faire place aux survenans qui à chaque heure du jour frappent à la porte funèbre. Les inhumations gratuites ont lieu dans ce que l’on nommait jadis la fosse commune, et dans ce que l’on appelle aujourd’hui la tranchée gratuite; ce n’est pas un simple euphémisme administratif comme on pourrait le croire, ce sont deux opérations absolument différentes. Autrefois l’insuffisance des terrains avait fait adopter une mesure dont souffrait l’hygiène publique, aussi bien que le respect dû aux morts. Les bières, entassées les unes par-dessus les autres et pressées côte à côte, formaient un vaste foyer d’infection que l’on recouvrait de 50 centimètres de terre environ; cette promiscuité de cadavres révoltait tous les cœurs, et les pauvres gens avaient quelque raison de dire : « On nous jette à la voirie comme des chiens. » Des achats de terrain successifs ont permis d’agrandir les cimetières, sinon de leur donner l’ampleur indispensable, et l’on a pu alors procéder avec plus d’humanité. Un règlement du 14 décembre 1850 a déterminé le mode des inhumations gratuites. Dans les longues tranchées ouvertes à 1m, 50 de profondeur, les cercueils sont placés à une distance de 20 centimètres les uns des autres, mesurés à la plus large saillie, c’est-à-dire aux épaules. Si chacun n’est pas absolument chez soi, comme dans le caveau des concessions perpétuelles ou dans la fosse des concessions temporaires, on est du moins à peu près isolé, et l’on peut être retrouvé avec certitude en cas d’exhumation ; l’on a au-dessus de sa dépouille une croix qui ne s’égare pas sur une autre, et le ci-gît n’est plus menteur comme au temps de la fosse commune. On comble la tranchée gratuite à mesure qu’elle reçoit sa sinistre pâture; lorsqu’elle est pleine, on la laisse reposer pendant cinq ans au moins : c’est le laps de temps que l’on juge nécessaire pour qu’un corps soit réduit à l’état inoffensif de squelette; puis on la retourne, on l’ouvre de nouveau, on la creuse dans les dimensions réglementaires, et elle recommence à être ce que les Grecs appelaient sarcophage, — la mangeuse de chairs. Les tranchées gratuites doivent être toujours prêtes, attendant la proie qui ne leur manque pas, car on a calculé que, sur 100 inhumations, 10 ont lieu dans les concessions perpétuelles, 27 dans les