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prescrit aux paroisses de Paris, aux commissaires et aux officiers du Châtelet de faire une enquête sur le nombre des décès et les inconvéniens des modes de sépulture en usage. Cette question fort délicate, qui touchait à des habitudes invétérées et à des sentimens religieux très respectables, fut approfondie avec soin, et le parlement rendit le célèbre arrêt du 25 mai 1765, qu’il ne serait peut-être point inutile de consulter encore aujourd’hui. « La cour ordonne : 1° qu’aucunes inhumations ne seront plus faites à l’avenir dans les cimetières actuellement existans dans cette ville, sous aucun prétexte que ce puisse être;... 3° qu’aucunes sépultures ne seront faites à l’avenir ou accordées dans les églises;... 4° qu’il sera fait choix de sept à huit terrains différens, propres à recevoir et consommer les corps et situés hors de la ville... » L’arrêt portait que toutes ces prescriptions étaient exécutoires à compter du 1er janvier 1766. C’était net et clair; s’empressa-t-on d’obéir? Nullement; les sépultures dans les églises ne furent point interrompues, et l’on continua de « fossoyer » aux Innocens comme par le passé.

Au commencement de 1780, le cimetière durait toujours, — c’est le vrai mot, — et peut-être durerait-il encore, si un accident n’était venu épouvanter et convaincre les plus récalcitrans. La terre, bourrée de corps sur une profondeur de vingt-six pieds, ne les contenait plus; elle avait beau se soulever, chercher des points d’appui contre les piliers des arcades, s’exhausser de telle sorte qu’il fallait descendre pour entrer dans l’église, où l’on pénétrait jadis de plain-pied, elle était gorgée au-delà de toute mesure et vomissait sa putréfaction. Au mois de février 1780, un habitant de la rue de la Lingerie, ouvrant sa cave, fut repoussé par une odeur tellement insupportable qu’il se sauva et alla chercher ses voisins. On revint en nombre, on s’enhardit, on se mit sous le nez des mouchoirs imbibés de vinaigre, et l’on se trouva en présence d’un spectacle horrible. La terre, gonflée par des pluies récentes, avait fait ce que l’on nomme une poussée contre les murs mitoyens; elle y avait ouvert une large brèche par où s’était effondré un éboulement de cadavres. La police essaya de tenir l’aventure cachée : il fut interdit aux journaux d’en parler ; mais garder un secret dans le quartier des Halles n’est point chose facile, et tout Paris sut bientôt à quoi s’en tenir sur l’état de ce cimetière. Ce fut un cri qu’il fallut bien entendre : l’autorité civile se montra très ferme et adopta une décision péremptoire; elle y mit cependant le temps de la réflexion, car cet enclos consacré à la peste, comme disait Voltaire, ne fut définitivement fermé et pour toujours que le 1er décembre 1780[1].

  1. Il convient d’ajouter que le cimetière était entouré d’un ruisseau profond où les riverains jetaient leurs immondices.