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éleva autour du cimetière des arcades supportant des greniers, — des galetas, c’était le mot, — qui servirent de charnier, c’est-à-dire d’ossuaire. On tenait à honneur d’augmenter et d’embellir le cimetière parisien par excellence; c’était là œuvre pie qui appelait l’indulgence de Dieu. Nicolas Flamel y fit construire deux arcades, l’une en 1389, l’autre en 1404. Guillebert de Metz, qui visita Paris sous Charles VI, dit : « Illec sont painctures notables de la danse macabre et aultres, avec escriptures pour esmouvoir les gens à dévotion. » Par le Journal d’un Bourgeois de Paris, on sait exactement à quelle époque furent faites ces compositions à la fois naïves et terribles, dont il restait trace encore à la fin du XVIIe siècle : commencées en août 1424, elles furent terminées pendant le carême de l’année suivante. Il y avait là une logette où l’on emmurait certains coupables qui n’avaient plus pour subsister que l’aumône des passans ; la porte, solide et armée de fer, s’ouvrait à deux clés, dont l’une était gardée par le marguillier de l’église des Saints-Innocens, et l’autre déposée au greffe du parlement; c’est là qu’en 1485 fut enfermée à toujours Renée de Vendomois, qui avait assassiné son mari.

Les caveaux de l’église étaient si pleins de cadavres que, dès le XVIe siècle, il n’était pas rare de voir des cercueils rangés le long des murs et attendant qu’on eût trouvé place pour les caser. Dans le cimetière, on voyait quelques sépultures particulières; mais le mode d’inhumation pour les petites gens était atroce : on creusait de grandes fosses dans lesquelles on enfouissait pêle-mêle, les uns par-dessus les autres, 1,200 et parfois 1,500 corps. Lorsque le terrain était comblé, ce qui arrivait souvent, on déterrait les plus anciens morts, et on jetait leurs ossemens dans les galetas qui surmontaient les arcades. La moyenne des inhumations était, dit-on, de 2,000 par an. L’espace était fort restreint; tout l’emplacement, y compris l’église, — enfermé par la rue de la Lingerie, la rue Saint-Denis, la rue de la Ferronnerie et la rue aux Fers, — contenait 1,700 toises carrées[1]. Le typhus régnait en permanence dans les maisons appuyées contre les murs mêmes du cimetière, qui, enveloppé de toutes parts de hautes constructions, ressemblait à un vaste puits dont le fond n’était en quelque sorte que de la pourriture humaine. Dès 1554, on s’émut de ce danger permanent. Deux très savans médecins de l’époque, Femel et Houillier, furent chargés d’étudier la question et d’en faire un rapport. Ils conclurent à la suppression immédiate et ne furent point écoutés. Le temps

  1. La contenance exacte du cimetière était de 7,160 mètres carrés, celle de l’église de 1,798 mètres : total, 8,958 mètres carrés.