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l’architecture qui les encadre, ou à substituer l’amusement mondain du regard à l’émotion religieuse sous prétexte de sincérité dans le style et d’aisance dans les formes de l’exécution. En revanche, combien de fois et avec quelle justesse la mesure n’a-t-elle pas été observée par les peintres et par les sculpteurs qui concouraient, sous les yeux de Baltard, à l’embellissement de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Gervais, de Saint-Étienne-du-Mont, de Saint-Eustache, de Saint-Sulpice, de bien d’autres églises encore dont l’actif directeur des travaux d’art de la ville de Paris a successivement entrepris d’orner les murs, de reconstituer les verrières, de repeupler les niches ou les tympans! Que, en se rappelant l’intervention de Baltard dans ces divers travaux, on se garde d’en exagérer les mérites au détriment de ce qui appartient aux artistes eux-mêmes, il n’y aura là, nous le disions en commençant, rien que de strictement équitable, mais on n’en a pas moins le devoir de tenir grand compte de cette intervention. Ne fût-ce qu’à cause des occasions qu’il leur fournit, des moyens qu’il leur facilita de prouver leurs talens, nombre de peintres et de statuaires parmi les plus importans de notre époque doivent beaucoup à Baltard. C’est ce que ni ceux qui voient aujourd’hui leurs œuvres ni les historiens à venir de l’art contemporain ne sauraient oublier.

Dans les entreprises auxquelles il n’a participé que par ses conseils et par son influence comme dans ses travaux absolument personnels, Baltard s’est donc toujours montré aussi peu enclin à immobiliser l’art qu’à le pousser, par un besoin immodéré du changement, aux essais périlleux ou irréfléchis. La prudence chez lui fut au niveau du zèle, le savoir égal au désir d’innover. Si dans l’application qu’il a faite de cette science et de ce bon vouloir il lui est arrivé de commettre des fautes, si même, aux remarquables qualités qui recommandent son talent, il n’a pas en général joint un goût très pur, un sentiment très délicat de l’ornement, en tant que conséquence directe et rationnelle des formes particulières de la construction, jamais du moins il n’a consenti à ériger en droits les licences de la fantaisie ou en axiome esthétique l’imitation servile des anciens chefs-d’œuvre. Étranger à tous les partis, il a su se tenir à égale distance de tous les extrêmes et, contrairement à des tendances trop communes aujourd’hui, à des engouemens ou à des dédains aussi injustes les uns que les autres, professer le respect du passé sans pour cela tout sacrifier du présent, ni désespérer systématiquement de l’avenir.


HENRI DELABORDE.