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leurs inclinations militantes jusque dans le travail solitaire. Baltard est certainement un de ceux-ci. Ne demandez pas à ses ouvrages cette correction patiemment recherchée, cette finesse dans les détails, ce style élégamment néo-classique qui distingue les monumens construits par Duban ou par M. Duc, ni cette fermeté renouvelée de la manière romaine dont Léon Vaudoyer a marqué ses travaux, comme M. Labrouste a le souvenir et le goût des formules, simples parfois jusqu’à la sécheresse, de l’art étrusque. Ne vous attendez pas non plus à y rencontrer l’expression sans merci de ce dévoûment aux exemples et aux traditions du moyen âge dont M. Viollet-Le-Duc a fait la règle ou plutôt la religion de sa pensée. Tout respectueux qu’il se montre envers l’antique, tout instruit qu’il est, — et il l’a prouvé dans plusieurs de ses restaurations, — des secrets de l’art national au XIIIe siècle ou au XVIe Baltard n’affecte pas plus de reconstruire sous notre ciel les monumens d’Athènes ou de Rome que d’imposer à notre époque les goûts ou les coutumes des temps féodaux. Éclectique plutôt que doctrinaire, préoccupé à la fois des enseignemens que nous a légués le passé et des innovations que comporte, des améliorations qu’appelle l’état présent de nos mœurs, il ne se refuse ni aux réformes d’aucun genre là où les intérêts de l’art et de l’histoire ont pu être méconnus ou compromis, ni aux mesures, si matérielles qu’elles soient, provoquées par des besoins modernes. Tout en travaillant un des premiers à restituer scrupuleusement à nos vieilles églises l’aspect qu’elles avaient à l’origine, il s’est un des premiers aussi appliqué à les rendre plus habitables et plus saines. Si, par déférence pour la vérité historique, il n’a pas craint d’enduire de vives couleurs les colonnes d’une nef romane ou les voûtes d’un sanctuaire de la renaissance, il n’a pas hésité davantage à soulever les dalles d’un pavement pour établir un calorifère souterrain ou à démonter une ancienne porte pour en matelasser les vantaux.

Cette conciliation entre les souvenirs d’un autre temps et les exigences du temps où nous vivons, ce mélange d’érudition, de rigueur scientifique et d’accommodement avec nos mœurs, Baltard n’entendait pas seulement en faire le principe et l’objet de ses propres travaux, il voulait encore que ceux dont il avait la surveillance ou la direction fussent inspirés par les mêmes pensées et soumis aux mêmes lois, qu’ils portassent franchement, comme il disait, « la physionomie de leur époque et leur date. » Sans doute, il est plus d’une fois advenu que ses recommandations sur ce point ont été prises trop au pied de la lettre. A force de prétendre se soustraire aux dangers de la contrefaçon archaïque, certains artistes employés à la décoration de nos églises n’ont réussi qu’à créer un anachronisme entre le caractère pittoresque de leurs œuvres et celui de