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à ceux qui distribuaient les tâches comme à ceux qui devaient les accomplir, — d’autres occupations encore, après comme avant l’achèvement de Saint-Augustin, furent continuellement imposées à Baltard sans arriver jamais à lasser ses forces, encore moins à refroidir son zèle. Gardant et utilisant jusqu’au bout son intelligence alerte, toujours prête à tout, à la solution d’un problème d’affaire aussi bien qu’à l’examen d’une question d’esthétique, ami de l’action, du travail sous toutes les formes, du devoir à tous les degrés, Baltard a été dans l’acception la plus exacte du mot un vaillant. Peut-être aux yeux de ceux qui n’ont eu avec lui que des relations passagères, son ardeur même a-t-elle pu prendre parfois les semblans d’une orgueilleuse fantaisie de l’esprit; peut-être, à le voir au hasard d’une rencontre si entier dans ses opinions, si difficilement porté à donner raison à ses adversaires, et plus difficilement tort à ses amis, s’est-on cru le droit d’expliquer par le goût de la domination cette confiance apparente en soi-même. Rien de moins fondé pourtant. Le ton volontiers un peu tranchant qu’on pouvait reprocher à Baltard n’exprimait en réalité que l’énergie de ses convictions personnelles, comme la partialité où il s’obstinait à l’égard des idées ou des hommes qu’il avait une fois adoptés était chez lui une affaire de fidélité et de conscience bien plutôt que le fait de l’entêtement. Aussi quiconque avait l’occasion de l’approcher familièrement savait-il vite à quoi s’en tenir sur les vrais motifs de sa raideur ou de sa hauteur prétendue.

Ne suffisait-il pas d’ailleurs, pour deviner ce qu’il y avait dans cœur de Baltard, de regarder attentivement sa personne, d’écouter l’accent de sa voix, de suivre les mouvemens intérieurs que traduisait si franchement, si honnêtement, sa belle et vive physionomie? Jamais homme n’eut des dehors moins trompeurs. L’aspect à la fois sympathique et séduisant que donnaient à son visage une chevelure blanchie bien avant l’âge de la vieillesse et des traits restés jeunes longtemps après que la jeunesse avait fini, un langage précis sans sécheresse sur des lèvres qui, même en se prêtant à l’expression ironique, gardaient je ne sais quoi d’aimable et de naturellement bienveillant, un mélange en un mot de finesse et de bonhomie, de fermeté virile et d’animation naïve, — tels étaient les signes d’après lesquels on pouvait, sans se méprendre, pressentir les inclinations intimes de Baltard et les caractères de sa complexion morale. En tout cas, ses travaux si nombreux, si variés, le bon emploi à tous égards qu’il a fait de sa vie, montrent assez ce qu’il faut penser de lui, et combien, pour parler comme Montaigne, « son existence a été étoffée des plus riches parties et désirables. L’homme en lui a vécu avec une puissance extrême.»

Oui, par les qualités de l’intelligence comme par l’élévation des