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l’adhésion de ses membres à son symbole? C’est en détruire l’idée essentielle et la vouer à une anarchie qui ne connaîtra plus de limites. Cela est surtout vrai dans un temps de crise comme le nôtre, qui fait surgir dans les anciens cadres ecclésiastiques les divergences les plus radicales, depuis l’orthodoxie rigide jusqu’à la négation du Dieu personnel et de l’âme immortelle. Que s’il avait plu à une église quelconque de se donner elle-même une pareille constitution, l’état n’aurait eu qu’à l’accepter de ses mains; mais que ce soit lui qui en règle ainsi l’organisation, voilà ce qui est insoutenable. C’est encore le système de la constitution civile du clergé et de la pire des constitutions civiles. Qu’on veuille bien remarquer que la loi ecclésiastique bernoise est faite pour s’adapter aussi bien au catholicisme qu’au protestantisme. Cette identification suffit pour la juger, car il n’est pas possible qu’une même constitution convienne à deux églises si différentes dans leur principe. Celle qui est imposée au catholicisme dans le canton de Berne aurait pour résultat inévitable de le détruire au moins dans le cadre officiel. Le principe de l’élection des prêtres ne saurait être admis sans le consentement du saint-père. Le décréter d’office, c’est exclure de l’église nationale et de ses avantages tout catholique orthodoxe. « Nous voulons, dit encore l’exposé des motifs, qu’une paroisse catholique puisse à son gré rejeter le dogme de l’infaillibilité. » L’état impose ainsi le principe de la diversité indéfinie des croyances à l’église de l’unité et de l’autorité. On voit que cette fameuse église démocratique qu’on a voulu fonder à Berne repose sur la confusion la plus fâcheuse entre la société civile et la société religieuse. Ajoutons que le clergé catholique est soumis à l’examen d’état comme le clergé prussien. Cette prétendue église est une création artificielle du radicalisme politique, et elle porte en elle un germe de désorganisation et de mort. C’est la négation de l’église. On croit répondre à toutes les objections en invoquant la majorité considérable qui l’a sanctionnée dans les comices populaires. Les plébiscites ne décident rien quand ils s’appliquent à ces hautes questions qui ne relèvent que de la conscience; en dépassant ses justes limites, la souveraineté du peuple se transforme en usurpation et en despotisme.

Ce qui donne une gravité particulière à cette législation, c’est qu’elle semble se propager dans toute la Suisse. Un projet de loi analogue pour la constitution de l’église protestante vient d’être voté par le grand-conseil du canton de Genève, et le canton de Neuchatel l’avait précédé dans la même voie.

Le gouvernement a pris la tête du mouvement dans cette portion de la Suisse française. Le catholicisme y est dans une si infime minorité