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que ce qu’il entend par là n’a aucun rapport avec la constitution libérale de la grande démocratie américaine. La séparation de l’église et de l’état ne répond pas aux nécessités du moment, elle favoriserait l’esprit de secte en laissant trop d’indépendance aux ecclésiastiques non salariés. Or l’état n’est pas d’humeur à renoncer à son autorité dans ce domaine; au contraire il compte en user largement. L’église démocratique telle qu’il l’entend, c’est l’église dépendant absolument du suffrage des citoyens, en sorte que la paroisse soit maîtresse souveraine, sauf en ce qui concerne les conflits avec le pouvoir civil, qui réclame une subordination prompte et absolue. Tout citoyen inscrit comme protestant ou catholique sur les registres du recensement est électeur de droit dans son église sans qu’aucune condition religieuse soit réclamée de lui; qu’il soit chrétien ou libre penseur, dévot ou athée, son droit est intégral et inviolable. Il n’est pas permis à l’église de se défendre par aucune mesure disciplinaire contre l’invasion des idées qui lui sont le plus contraires. En effet, la paroisse élit son pasteur, ses vicaires et son conseil-directeur, se régit à sa guise, sans dépendre d’aucune autorité supérieure, et détermine à elle seule la croyance qu’il lui convient d’adopter et de faire prêcher. La loi bernoise institue bien un conseil ecclésiastique, sorti, lui aussi, de l’élection des paroisses, chargé de la surintendance de l’église catholique, et un synode jouant le même rôle dans la communion protestante. Il est clairement spécifié que ces hautes assemblées n’ont le droit de rien imposer aux églises locales; toutes leurs décisions, qu’elles portent sur la doctrine ou la discipline, peuvent être rejetées par le veto de la paroisse, convoquée à cet effet sur l’initiative du tiers des électeurs. Il s’ensuit que les plus grandes variétés peuvent se produire dans l’enseignement doctrinal, et que le lien de la foi commune est entièrement brisé. Pour rendre la paroisse plus démocratique encore, les pasteurs et les curés sont soumis à la réélection tous les six ans.

Tel est le projet de loi ecclésiastique qui a été soumis au mois de janvier dernier à la votation du peuple dans le canton de Berne. Si l’on excepte quelques stipulations très libérales en faveur de la liberté religieuse, qui n’ont pas empêché l’expulsion des curés catholiques du Jura, et les clauses excellentes en faveur du mariage civil et de la neutralisation des cimetières, cette loi porte la plus grave atteinte à l’essence même de la société religieuse. Celle-ci n’est rien, si elle n’est pas une libre association de croyans. L’état a le devoir d’empêcher une église quelconque d’entraver la liberté d’un seul citoyen et de réclamer le concours des autorités civiles pour maintenir sa discipline en lui donnant une sorte de sanction; mais quel titre refuser à l’église le droit de définir sa doctrine et de réclamer