Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nez est aquilin. Les extrémités des membres sont délicates comme les membres eux-mêmes. La démarche est sévère, majestueuse, principalement chez les chefs. Ceux-ci, qui sont tous choisis à l’élection parmi les plus intelligens, les plus valeureux, les plus éloquens de la tribu, semblent avoir conscience de leur mérite. Les caractères que l’on vient d’indiquer se retrouvent chez tous les Indiens, mais sont encore plus prononcés chez ceux des États-Unis.

Quelques-uns des chefs sioux m’avaient vu naguère dans les prairies; ils me reconnurent tout de suite. « Quand ils ont vu un homme une fois, me dit M. Beauvais, ils ne l’oublient plus. » Je lui demandai de leur faire comprendre que je venais du pays du soleil levant, de là-bas, bien loin, derrière la mer. « Ils ne me croiront pas, répondit-il; ils prétendent qu’après l’Océan tout est fini et qu’après l’eau il n’y a plus de terres. » J’allai plusieurs fois visiter « les barbares, » comme les appellent volontiers les interprètes canadiens, et fumer le calumet avec eux. D’habitude ils étaient tous assis en rond dans une chambre commune, accroupis, roulés dans leur couverture. Ils se tenaient là immobiles, fumant silencieusement. En entrant, suivant la formule de politesse en usage dans les prairies, je leur serrais la main à tous en laissant échapper le cri guttural h’aou, qui sert à la fois de salutation et de signe approbatif chez les Peaux-Rouges. Ils poussaient chacun à leur tour la même interjection, et c’était tout. Si je m’asseyais à côté d’eux, ils me passaient la pipe, j’en tuais une bouffée, la passais à mon voisin de droite, et le calumet faisait le tour de l’assistance sans que personne dît un mot. Tous affectaient, comme chez certains peuples, les Arabes par exemple, de ne prendre aucun intérêt à ce qui se passait autour d’eux; c’est à peine s’ils levaient les yeux sur leurs visiteurs. Dans la rue, les bandes de curieux dont ils étaient suivis les gênaient fort. A Philadelphie, une troupe nombreuse s’étant attachée à leurs pas en criant, la Queue-Bariolée se tourna vers l’interprète et lui dit : « Chez nous, on ne permettrait pas aux enfans de se conduire de la sorte. » C’est pourquoi, quand les Brûlés furent sur la frégate française, où la sévère discipline du bord n’autorisait à leur égard ni une curiosité indiscrète, ni la moindre approche familière, ils se déridèrent peu à peu. « Ici, au moins, nous sommes tranquilles, disaient-ils, on ne nous importune pas. »

Le calme, l’impassibilité des Peaux-Rouges, ne se démentent en aucune occasion; même quand ils partent pour la première fois en chemin de fer, ils feignent de n’éprouver aucune surprise à la vue de la locomotive, u le cheval de feu, » et pourtant cet engin leur inspire une secrète terreur. Généralement ils ont peur de tout ce