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et solides où la spéculation songe à fonder une ville immense.

C’est dans ce milieu assaini et agrandi, dans cette capitale toute moderne d’un empire tout moderne lui-même, que le voyageur français, en 1873, a pu juger des progrès accomplis en dix-huit ans.


I.

En 1854, la guerre de Crimée menaçait de s’étendre de l’Orient en Europe et d’entraîner l’Autriche, la première, dans une lutte générale; son budget de 1853 s’était réglé avec un déficit de 150 millions de francs, et en 1854 trois emprunts, dont l’un appelé emprunt national, avaient été émis jusqu’à concurrence de 2 milliards. Ce n’était pas encore assez pour parer à tout, et le gouvernement impérial crut devoir s’assurer une ressource plus sûre que celle de la souscription de rentes dont une grande partie était payable en papier; il négocia donc la vente des propriétés de l’état à des capitalistes étrangers. À ce moment, l’Autriche était bien en arrière des autres pays pour la construction des chemins de fer. Le plus ancien, celui du nord, dit de l’empereur Ferdinand, devant aller de Vienne à Brünn, Olmütz et Cracovie, datait, par acte de concession, de 1836. En 1841, le gouvernement avait décidé que les chemins de fer seraient construits aux frais de l’état, mais en 1854 il n’avait encore achevé d’un côté que la ligne s’embranchant sur le chemin du nord à Brünn au nord-ouest de Vienne et au sud-est à Marchegg, et de l’autre le chemin qui se poursuivait à travers la Hongrie vers Szegedin par Presbourg et Pesth. La longueur de ces tronçons achevés était de 924 kilomètres. L’état construisait aussi le chemin de Szegedin au Danube, à la frontière turque, sur 113 kilomètres. Si l’on ajoute à cette ligne du nord et aux chemins construits par l’état une petite ligne de Vienne à Raab et à Comorn, la place forte de la Hongrie, longue de 159 kilomètres, et la grande voie de Vienne à Trieste, qui assurait les communications avec les possessions de la Lombardo-Vénétie, on aura l’ensemble des voies ferrées existant en 1854 dans tout l’empire d’Autriche. Il y avait donc nécessité de poursuivre plus activement et d’une autre manière un rôle que le gouvernement, pressé d’ailleurs par les éventualités de la guerre, ne pouvait point remplir. Le système adopté en 1855 a eu le double résultat de procurer à l’Autriche une ressource importante, grâce à laquelle il lui a été permis de jouer le rôle de médiateur entre la Russie et les puissances alliées, et de provoquer l’essor des chemins de fer en les livrant à l’industrie privée et en accueillant avec faveur la coopération du capital étranger.

Le 1er janvier 1855, le ministre de l’intérieur, baron de Bruck, signait, avec les barons de Sina et Eskeles, M. J. Pereire et le duc