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en ordre naturel ou en ordre renversé, remplissent l’office du bélier au cou duquel le berger a pris soin d’attacher la sonnette; ils savent où l’amiral veut se rendre, à quelle distance il désire se tenir de terre. Ils agissent en conséquence ; les autres vaisseaux les suivent dans toutes les inflexions de leur route.

Rarement on en vient aux mains sans s’être disputé, quelquefois pendant plusieurs jours, l’avantage du vent. Celui des deux amiraux que les circonstances ont favorisé ou qui, par son habileté, a réussi à primer son adversaire de manœuvre, se porte, par un mouvement d’ensemble, par une arrivée générale, vers la flotte ennemie. Il cherche ainsi à la faire plier, il se tient prêt à profiter du désordre qui va se mettre dans les rangs. Les brûlots jusque-là ont été tenus à couvert; le moment est venu de les faire avancer. C’est l’heure solennelle, l’heure vraiment critique de la bataille. Chaque commandant de division dispose d’un certain nombre de ces enfans perdus. S’il manque de sang-froid ou de coup d’œil, s’il n’appuie pas assez énergiquement les navires incendiaires qui attendent ses ordres, il les aura sacrifiés sans profit. Victimes résignées, les brûlots sont sortis de la ligne ; ils poussent droit devant eux. Combien atteindront le but qu’on leur désigne? Quelques-uns s’abîment sous les volées de canon qu’ils bravent, d’autres se consument inutilement en route, abandonnés trop tôt par leurs équipages ou détournés par les chaloupes qui se sont portées à leur rencontre. L’ennemi rassuré fait tête : il n’y a plus qu’une ressource; il faut l’enlever à l’abordage. Les vaisseaux s’accrochent, les équipages se mêlent, on fait feu des mousquets, on combat l’épée à la main. Pendant ce temps, le vent tombe, la fumée envahit le champ de bataille. Des divisions entières se trouvent à leur insu entraînées par le courant. Le calme les retiendra-t-il loin de l’amiral ? un souffle favorable les ramènera-t-il à sa portée? L’aspect du combat, les chances de la bataille vont se modifier ainsi plusieurs fois avant que le soleil se couche. Près de faiblir, les courages se relèvent tout à coup, ranimés par la vue d’un secours qu’ils avaient cessé d’espérer; la victoire échappe au contraire à qui la croyait tenir. La lutte recommence, plus terrible et plus acharnée encore. La nuit seule vient mettre un terme au carnage.

Il règne dans ces combats une ardeur sanguinaire, une soif d’extermination qu’on ne retrouvera pas cent cinquante ans plus tard. Les Hollandais ont à couvrir leurs flottilles de pêche dans la mer du Nord, à escorter leurs convois marchands dans la Manche. Dès que les deux armées se rencontrent, elles montrent un égal désir d’en venir aux mains. De part et d’autre, on se charge avec furie. Le plus, souvent ce sont les Hollandais qui, pour mettre à l’abri leurs richesses, font les premiers mine de battre en retraite. Ils reculent