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tout en me réjouissant de cette foi encore si jeune et si puissante, je ne pouvais me défendre d’une grande tristesse; notre pays n’est donc qu’un grand enfant en religion comme en politique; je pensais à cette poignée d’évêques luttant pour la vraie foi, soutenant avec héroïsme les saintes vérités, et je me disais que la foule complaisante qui les opprime est bien la fidèle image de ces populations crédules, obéissantes et à moitié païennes au fond. Il y a sans doute un côté sublime dans ces dévotions populaires, et je comprends qu’on en soit parfois transporté; mais l’exploitation est toujours trop voisine, trop visible, et un certain désenchantement est par suite inévitable. »

Pendant que M. Vitet s’abandonnait à ses mélancoliques et véridiques réflexions, la foudre éclatait sur la France. Je ne prends nul plaisir à retracer les fautes du gouvernement de mon pays, même quand il est justement tombé. Je répugne encore plus à redire les revers de mon pays, même quand il a absolument besoin de les bien comprendre pour ne pas retomber dans les fautes qui les lui ont attirés. Il faut du temps aux leçons de l’expérience. J’arrive donc sans préface à la guerre engagée par le gouvernement impérial, à Paris assiégé par les Prussiens après une campagne non pas sans honneur, mais sans succès pour l’armée française, morcelée et bloquée elle-même. M. Vitet était rentré dans Paris et il assistait, que dis-je? il prenait part à ce siège de cinq mois, la plus imprévue et qui serait restée la plus belle de nos gloires, si elle ne se fût laissé ternir et presque effacer par les folies et les crimes de la démagogie parisienne ou accourue de toutes parts dans Paris. C’est la grande faiblesse de la France, dans tout le cours de son histoire, de n’avoir su ni prévenir ni réprimer les régimes odieux qu’elle devait maudire après les avoir supportés sans résistance. Pendant toute la durée du siège, un seul sentiment, une seule passion régna dans l’âme de M. Vitet, la passion de la résistance patriotique au vainqueur étranger : les 15 octobre, 15 novembre, les 1er, 15 et 31 décembre 1870, et les 15 et 31 janvier 1871, il adressa à la Revue des Deux Mondes sept lettres, chefs-d’œuvre d’intelligence et d’éloquence politique, dont je n’ai pas besoin de parler ici. C’était au nom de la république, alors le seul gouvernement établi et agissant, que M. Vitet conseillait et invoquait la résistance, et, dans l’élan de son patriotisme, il acceptait pour l’avenir le gouvernement qui, dans le présent, était le seul pratique et efficace. « Que les libéraux sincères ne s’alarment pas, disait-il, la république qu’il leur faut soutenir, la seule qui puisse prévaloir, la seule que la France voudra sanctionner, ce n’est pas celle qui s’est toujours montrée étroite, jalouse, exclusive, sorte de monopole et patrimoine de quel-