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Dans tous les arts, mais surtout dans l’art de la navigation, il est merveilleux de voir par quelles complications il a fallu passer avant d’arriver à la solution la plus simple. Les focs ne font leur apparition sur la scène navale que dans le cours de la guerre de sept ans, la brigantine ne remplace la voile de poupe enverguée sur la longue antenne qui portait le nom d’ource que peu d’années avant la guerre d’Amérique.

N’insistons pas davantage sur de pareils détails, et considérons la marine de ces temps déjà reculés dans son ensemble. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, on ne rencontre rien qui rappelle à un degré quelconque la constitution actuelle de nos armées navales. Charles II et Louis XIV furent les premiers souverains qui entreprirent de donner à leur marine le caractère de permanence sur lequel repose aujourd’hui la sécurité des grands états. Menacée depuis plusieurs années d’une formidable invasion par le roi d’Espagne, la reine Elisabeth ne possédait en propre, quand il lui fallut repousser cette agression, que trente-six bâtimens jaugeant à peine douze mille tonneaux. Ce furent les ports de commerce qui fournirent à la couronne la majeure partie de la flotte qu’on opposa au gigantesque armement de Philippe II. À cette époque, on levait des vaisseaux comme on continuait à lever des soldats, par une sorte d’appel féodal. Chaque paroisse était taxée à un certain nombre d’hommes, chaque ville du littoral à un certain nombre de navires. Cette milice navale se rassemblait autour de la bannière de l’amiral, et c’était l’amiral qui la partageait en escadres et en divisions; c’était également ce grand-officier de la couronne qui choisissait parmi les capitaines le vice-amiral et le contre-amiral destinés à commander l’avant-garde et l’arrière-garde de l’armée.

La distinction entre le navire de guerre et le navire de commerce ne fut pas dans le principe aussi tranchée qu’elle l’est aujourd’hui. Le commerce se faisait au XVIe siècle à main armée, et la course était une industrie des plus répandues. Les ordonnances de François Ier et de Henri II nous peuvent encore donner une idée de ce qu’étaient ces armemens dont les navires de Jean Ango sont restés le type un peu légendaire. Des particuliers s’associaient et obtenaient « congé de l’amiral de faire sortir un bâtiment du port pour aller faire la guerre aux ennemis. » Le bourgeois du navire fournissait le vaisseau d’artillerie, de boulets, de plomb, de cuirs verts, d’avirons, de piques, d’arbalètes[1], de compas et de lignes à sonder. L’avitailleur se chargeait de l’approvisionner de vivres, de poudre, de lances à feu, de lanternes et de gamelles. Le quart du

  1. Instrument servant au XVIe et au XVIIe siècle à prendre les hauteurs des astres.