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quelques-unes des variétés des décorations antiques ; en tout cas, le système des arabesques de la renaissance est déjà là tout formé. Enfin au centre, au-dessus d’une belle cheminée gothique, les armes des comtes, des ducs de Bourbon et de la province de Forez sont distribuées entre plusieurs grands écussons. Si jamais salle de parlement fut aristocratique, c’est bien celle-là ; la féodalité est encore là très vivante et très parlante.

« Il y a maintenant bien de ces maisons qui n’existent plus, » me dit, pendant que mes yeux errent sur les blasons de la voûte, le concierge de la Diana, ami des traditions, comme il convient que le soit d’ailleurs le gardien d’un tel édifice ; puis il conclut par cet axiome de l’économie sociale propre au peuple quand il est conservateur : « ce qui est dommage, parce que d’une grande maison il y a plus à tirer que d’une petite. » Du temps de d’Urfé, nombre de ces familles n’existaient en effet déjà plus ; depuis lors, les d’Urfé eux-mêmes ont disparu et bien d’autres à leur suite. Cependant la plupart de ces noms éteints n’appartiennent pas à la noblesse proprement dite du Forez et du Lyonnais, car les familles forésiennes ne figurent qu’en nombre restreint sur la voûte de la Diana, où il faut chercher surtout les blasons des maisons de toute province et même de toute contrée alliées aux comtes de Forez. Les plus puissantes et les plus considérées des familles du Forez à l’époque où fut décorée la Diana y occupent seules un rang ; de ces vieux blasons forésiens particulièrement favorisés, un de ceux qui me semblent subsister encore aujourd’hui de la manière la plus certaine est celui de la maison de Damas. Il s’en est fallu de bien peu que la reliure ne suivît le livre, c’est-à-dire que ce joli édifice de la Diana ne suivît dans la mort et l’oubli ces dominations éteintes et ces noms effacés dont elle conserve les insignes. Je vois, par une note du livre publié en 1839 par M. Auguste Bernard sur les d’Urfé, qu’à cette date la Diana menaçait ruine, et même qu’elle appartenait à un particulier qui parlait de la démolir. Heureusement il s’est rencontré pour cet édifice un protecteur excentrique et puissant. C’est dans cette salle que, sous le dernier règne, M. de Persigny venait exposer chaque année ces théories du pouvoir césarien et de la monarchie démocratique qui lui étaient particulières ; son influence aida le bon vouloir des nombreux habitans de Montbrison qui regrettaient la dégradation d’un si intéressant édifice, et la Diana, restaurée par M. Viollet-Le-Duc avec le soin et le goût qui sont propres à cet habile homme, et accaparée par les lettrés de la province qui ont voulu se former en société littéraire sous l’invocation de son nom, fut désormais à l’abri de la ruine et des brutalités du hasard.


ÉMILE MONTÉGUT.