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dura près de trois siècles. De tous ces princes, un seul nous importe aujourd’hui, Guy IV, parce qu’il est le seul dont le souvenir reste debout. Il est vrai que le souvenir est considérable, car ce n’est rien moins que la belle collégiale de Notre-Dame, et son tombeau, ou du moins ce que les huguenots et les jacobins en ont épargné, se voit encore au chevet de l’église, sur l’un des côtés du chœur. Nous l’avons déjà rencontré sans le nommer dans nos excursions précédentes; ce comte de Forez dont nous avons mentionné la domination passagère en énumérant les maîtres successifs du Nivernais, c’est lui. Quoiqu’il soit mort très jeune, il eut le temps d’être marié trois fois, avec une héritière de Bourbon, avec une héritière d’Auvergne, et enfin avec Mathilde, héritière de la maison quasi royale de Courtenay et veuve d’un usurpateur féodal heureux, Hervé de Donzy, comte de Nevers, qui, dans ces temps d’incessantes guerres de clochers, l’avait acquise, comme son domaine, à la pointe d’une épée vaillante et sans scrupules. C’est par ce dernier mariage que Guy se trouva comte de Nevers, titre qu’il ne transmit pas à ses descendans. Guy fut contemporain de la naissance de la nationalité française, et nous trouvons son nom associé pour sa petite part à cette heure mémorable qui fut saluée par les populations d’alors avec un trépignement de joie dont peuvent à peine donner une idée les acclamations les plus bruyantes qui depuis aient jamais salué parmi nous l’avènement des régimes les plus populaires. Guy s’était mis en route pour venir combattre sous la bannière de Philippe-Auguste lorsque ce grand roi fut assailli par la formidable coalition de Ferrand, comte de Flandre, du comte de Boulogne et de l’empereur Othon IV; mais le roi lui fit rebrousser chemin, « ayant été averti, dit l’historien du Forez, que l’oncle dudit Ferrand, nommé par le vulgaire le bougre d’Avignon, remontait par la Provence avec de grosses troupes qui devaient fondre sur le Lyonnais et le Forez, et de là passer dans d’autres pays pour aller joindre celles de Ferrand[1]. » S’il ne prit pas directement part à la journée de Bouvines, il la facilita en arrêtant sur son propre domaine ces forces qui allaient grossir la coalition. Le bougre fut défait et amené prisonnier à Paris, où se trouvait déjà en captivité son neveu Ferrand, et où il put entendre et prendre sa part des quolibets ironiques dont le peuple saluait le comte de Flandre chaque fois qu’il l’apercevait : « Le roi vous a ferré, comte Ferrand.» Guy prit également part à l’autre très grand événement de cette époque, la croisade contre les albigeois, événement sanglant et lamentable, mais sur lequel, même aujourd’hui, un jugement droit ne se sent pas libre de prononcer condamnation, car il servait la même cause que nous venons de voir triompher à Bouvines.

  1. Antoine de La Mure, Histoire des comtes de Forez et des ducs de Bourbon, édition de M. de Chantelauze.