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qui me rappelle que cette ville fut en effet visitée pendant plus d’un siècle par les épidémies avec une insistance particulièrement cruelle. C’est tout, et ce tout est peu, comme vous voyez; maintenant, si j’abandonne les témoignages des monumens pour repasser en ma mémoire les faits dont cette ville a été le théâtre, je n’en vois guère qu’un seul qui me présente quelque intérêt : c’est que Saint-Étienne est une des cités qui ont payé les frais de l’apprentissage militaire de Henri IV. Il était encore presque enfant, seize ans à peine, et servait dans l’armée de Coligny, qui croyait ne mener alors à sa suite que l’espoir du parti protestant, et ne se doutait pas qu’il veillait sur une bien plus grande fortune, celle de la France même. Quant à notre histoire morale et intellectuelle, je ne vois pas que Saint-Étienne y ait pris une part beaucoup plus grande qu’à notre histoire politique. Ceux de ses enfans qui se sont fait un nom dans les lettres et les arts sont peu nombreux et appartiennent tous à notre époque, Fauriel, Jules Janin, Antonin Moine. Encore est-il vrai de dire que, si les uns et les autres sont Stéphanois, ils le sont par le seul hasard de la naissance, et non par la nature du talent, car il est à peu près impossible de surprendre chez aucun l’influence du pays natal. On ne voit pas quels germes Saint-Étienne a jamais pu déposer dans une intelligence de la nature de celle de Fauriel, qu’on imaginerait Provençal ou Catalan encore mieux que Forésien, au moins à ne consulter que ses préférences littéraires. Pour les deux autres que nous avons cités, Jules Janin et Antonin Moine, un des caractères les plus marqués de leurs talens, c’est précisément l’absence complète de tout élément local. Rien chez eux ne sent particulièrement le terroir; l’un et l’autre se sont développés en jetant leurs racines à la façon de nénufars dans l’élément littéraire ambiant de leur époque, c’est-à-dire le courant romantique. Si Saint-Étienne est par hasard pour quelque chose dans la . verve fantasque de Janin et dans la grâce tourmentée d’Antonin Moine, cet atome est si subtil que nous renonçons à le distinguer.

En dépit de ces aptitudes très exclusivement industrielles, Saint-Étienne offre beaucoup plus de ressources aux curieux d’art qu’on ne pourrait le supposer. Ses églises sont fort laides comme architecture, cela est vrai, et la principale se présente même dans un tel état de délabrement qu’elle en est à la fois aussi indigne du culte que d’une grande cité. Elles n’en contiennent pas moins plus d’une œuvre agréable et intéressante. Dans l’une, celle qui précisément est si délabrée, je distingue une statue de la Vierge de M. Montagny, sculpteur stéphanois, d’une charmante exécution et d’une expression de pureté naturelle, de chasteté naïve et souriante, tout