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en face de l’église se dresse la statue du colonel Combes, tué à l’entrée des Français dans Constantine en 1837. Voilà un emploi de la sculpture monumentale contre lequel nous n’aurons pas cette fois envie de récriminer. Au contraire des savans et des artistes, qui continuent à vivre lorsqu’ils ne sont plus par les œuvres qu’ils laissent derrière eux, les héros, à moins qu’ils ne soient souverains ou qu’ils n’aient tenu la scène du monde pendant une longue suite d’années, sont condamnés à périr tout entiers, acteurs sublimes qu’ils sont, car leur héroïsme c’est leur personne vivante même. A plus forte raison en est-il ainsi lorsque, comme le colonel Combes, ils n’ont qu’un instant pour se révéler et que cet instant est précisément celui qui les anéantit. De ceux-là, il ne restera rien, pas même le souvenir, car la mémoire humaine est de substance lente et dure, et le temps qui fut donné aux héros de ce genre fut trop court pour qu’ils pussent y faire impression. Il y a là pour ceux qui sont témoins du spectacle rapide de ces subits météores d’héroïsme, ou pour ceux qui sentent à l’égal du héros, quelque chose de particulièrement amer qui porte le regret jusqu’à la vivacité de la souffrance. Une âme admirable était parmi nous, et nous ne la connaissions pas ou nous la soupçonnions à peine, et voilà que la minute où elle nous apparaît est celle-là même où elle nous quitte; le temps de la saluer au départ, et c’en est fait pour toujours! La sculpture monumentale n’a pas de destination plus légitime que celle de fixer de pareilles minutes fugitives et de donner à de semblables carrières héroïques ce qui leur a manqué, la durée. Les concitoyens du colonel Combes ont eu raison de ne pas vouloir que le souvenir d’une telle mort fût perdu; il y en a eu qui ont été entourées de circonstances plus brillantes, il n’y en a pas eu de plus stoïques, ni qui témoignent d’une trempe d’âme plus énergique. Voici comment elle est présentée dans les très beaux récits de la guerre d’Afrique laissés par le duc d’Orléans et publiés par ses fils il y a quelques années. « Atteint de deux balles en pleine poitrine, le colonel Combes donne encore ses derniers ordres, puis il vient dans la batterie de la brèche, debout et l’épée haute, rendre compte au général Valée et au duc de Nemours de la situation du combat. — Ceux qui ne sont pas blessés mortellement, ajoute-t-il ensuite, pourront se réjouir d’un aussi beau succès; pour moi, je suis heureux d’avoir pu faire encore quelque chose pour le roi et pour la France. — C’est alors seulement qu’on s’aperçoit qu’il est blessé. Calme et froid, il regagne seul son bivouac, s’y couche et meurt. » Une inscription gravée sur le socle de la statue nous apprend que, par une noble et légitime reconnaissance, le roi Louis-Philippe voulut que ce cœur si digne de battre longtemps et qui ne s’était arrêté qu’en prononçant