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dans Rome, la conspiration de Libo, dans les provinces d’Illyrie et de Germanie les légions ameutées. N’importe, il en coûtait trop à son orgueil de s’opposer militairement à semblable entreprise. Envoyer des troupes contre un esclave, jamais il n’eût daigné, car Tibère savait, à n’en pas douter, que ce prétendant n’était qu’un imposteur. Sallustius Crispus fournissait là-dessus à son empereur les renseignemens les plus certains. On s’en remit donc à la ruse. D’honnêtes gens qui se donnaient pour des transfuges se présentèrent au camp du prétendant. Celui-ci les crut sur parole : armes, argent, prit tout ce qu’on offrait, et se tint si peu sur ses gardes, qu’une nuit ses nouvelles recrues, l’ayant enveloppé, saisi et garrotté, le traînèrent à Rome et jusqu’au palais de l’empereur. L’intrépide comédien ne faillit pas une minute au personnage, et la torture, loin de le contraindre au désaveu, ne servit qu’à surexciter son audace. « Comment t’es-tu fait Agrippa? lui demanda Tibère. — Juste comme toi tu t’es fait césar, » répondit-il. On l’égorgea dans un coin du palais. Il n’y eut aucune enquête, l’empereur aima mieux étouffer l’affaire. Des membres de sa famille et nombre de sénateurs s’y fussent trouvés compromis. Livie appuya cette résolution de toute l’autorité de son crédit, alors au faîte.


V.

Pline raconte qu’un peu avant son mariage avec Auguste Livie Drusilla, tranquillement assise à prendre l’air, vit tomber des cieux dans son giron une poule éblouissante de blancheur, qu’un aigle venait de laisser échapper. Émue, mais non troublée, elle admirait ce présage étrange, quand elle s’aperçut que la poule blanche tenait dans son bec un rameau de laurier chargé de graines. Les aruspices consultés déclarèrent que l’oiseau serait élevé à part ainsi que sa couvée, et la branche de laurier soigneusement plantée et surveillée. « L’expérience eut lieu dans la résidence impériale, dans un terrain situé tout près du Tibre, vers la neuvième borne de la voie flaminienne, et qu’on appelle encore aujourd’hui « le champ aux poules. » Quant au brin de laurier, la poussée tint du miracle, et bientôt ce fut tout un bois où l’empereur et ses successeurs vinrent s’approvisionner pour leurs triomphes. L’usage voulut aussi qu’on replantât les rameaux que les empereurs avaient portés à leur main pendant la cérémonie, et ces diverses souches formèrent à leur tour des bosquets qui furent désignés sous les divers noms des césars. Suétone, un demi-siècle après, reprend le mythe en le variant.

Les augures avaient donc parlé dès l’origine, et, s’ils eussent voulu mentir, Livie s’était comportée de manière à les en empêcher.