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forces, la raison puisse monter plus haut, s’élever jusqu’à Dieu lui-même et supplanter la religion ? Vous ne lui permettez pas cet orgueil. Pour vous, la vraie philosophie est celle qui, dans le champ de l’invisible, s’arrête à un premier degré qui lui est vraiment propre, sans se dissimuler qu’il en existe un autre, et que les vérités où elle ne peut atteindre, les hommes peuvent les voir par une autre lumière que la sienne, par la lumière d’en haut. Cette lumière qui lui échappe, non-seulement la raison humaine l’admet, mais elle l’invoque, elle l’appelle, elle s’en autorise, sachant bien qu’à soi seule elle ne peut embrasser l’immensité des choses, pas plus le monde physiologique, où elle ne descend pas, que le monde théologique, où elle ne peut monter. A ses yeux, la faute est la même et le travers aussi grand de vouloir, comme les rationalistes, séparer la raison de la lumière surnaturelle, et l’isoler, comme les idéalistes, de la lumière terrestre et du témoignage des sens. Ce spiritualisme chrétien est, de tous les systèmes, le plus large et le moins incomplet, le plus soucieux de la dignité et de la liberté humaines, le plus apte à tenir compte de tous les faits moraux et intellectuels, si compliqués et si mystérieux, dont l’esprit de l’homme est le théâtre, et cette conviction, disait M. Vitet au père Gratry, vous n’avez pas craint de la dire hautement, et vous avez redressé le piédestal de tous les grands esprits qui, depuis tant de siècles, ont professé cette philosophie. »

Presque en même temps que le père Gratry tenait au public et M. Vitet à l’Académie ce digne et religieux langage, je publiais sur le christianisme, sur ses croyances fondamentales et son état actuel dans les sociétés modernes, trois Méditations qui firent quelque bruit dans le monde. En 1865, 1867 et 1869, M. Vitet en fit, dans la Revue des deux Mondes, l’objet de trois articles où il en résumait les idées et leur donnait son entière approbation. Quoique séparés entre les deux grandes églises chrétiennes qui se sont disputé le monde civilisé, nous nous étions placés l’un et l’autre au-dessus de leurs dissidences, et nous n’éprouvions aucun embarras à parler librement de leur foi et de leur destinée communes. Ce qu’en a pensé et dit M. Vitet à l’occasion de mes Méditations doit être réimprimé dans ce volume même, comme l’un de ses Essais où il a exposé les principes et les sentimens qu’il avait le plus à cœur.

La défense de sa foi chrétienne ne le détourna point de ses études favorites. Après la révolution de 1848, quand il disposa librement de son temps et de sa pensée, les arts, tous les arts sous leurs diverses formes et dans leurs diverses histoires, l’architecture, la sculpture, la peinture et la musique, devinrent son occupation habituelle et une distraction efficace à ses tristesses. Je viens d’énu-