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pureté de son haleine décide de sa fortune. Elle souffle sur le miroir, et, pour être adoptée, il faut que la surface limpide un moment ternie renvoie à l’odorat de la grande dame un parfum de rose et de violette. Comme elle a son Éthiopien pour l’accompagner et la garder, Julie a son esclave favorite préposée au miroir, aux secrets messages. Phœbé vit dans la contemplation, l’adoration de sa patronne. Cette jeune tigresse devient une gazelle apprivoisée aux genoux de l’auguste princesse, qui, selon les caprices de l’heure, la flatte, l’attife, l’enguirlande, ou s’amuse à lui darder dans les chairs son épingle à cheveux.

On n’en finirait pas avec ces traits anecdotiques qui nous montrent, — chacun dans son caractère et son contraste, — ces deux personnages si peu semblables, quoique si rapprochés, et malgré tout liés d’invincible tendresse : celui-là, dévotieux gardien des convenances, fauteur des vertus domestiques, circonspect, économe, frugal; celle-ci, tout à son luxe, à ses entraînemens, à ses passions, le sang impétueux du grand Jules, sa vraie nièce, et la postérité retrouvée de Vénus, l’immortelle aïeule ! Auguste, ayant un soir désapprouvé l’équipage de sa fille, la vit venir à lui le lendemain mise très simplement, et comme il la félicitait du changement : « C’est qu’aujourd’hui, répondit-elle, je me suis habillée pour mon père, et hier pour mon mari. » Chez une Romaine de la république, le mot pourrait passer; mais chez Julie comment y croire? C’est pour ses amans qu’elle s’habillait et non pour son mari, qu’elle abhorrait, et qui, farouche, à l’écart dévorait sourdement ses colères, ne se sentant point de force à porter plainte. Les bruits promenés par la ville, certains propos licencieux de Julie, lui tintaient aux oreilles. A l’observation d’un de ses amans, lequel, sachant le fond des choses, lui demandait comment il se faisait que tous les enfans d’Agrippa ressemblassent à leur père, l’épouse impudique n’avait-elle pas répondu par ce trait d’une audace dont l’honnêteté de notre langue ne souffre point la traduction : Nunquam enim nisi navi plena tollo vectorem ?


II.

Revenu depuis peu de sa dernière campagne en Germanie, Tibère, d’un simple coup d’œil, s’était rendu compte de la situation, et la mesurant bien, avait dû reconnaître qu’elle n’était pas à son avantage. L’influence de Julie régnait sans égale; une riche lignée de princes et de princesses entourait la féconde mère et déjà grandissait pour la dynastie. L’aîné de ses fils, Caïus César, héritier présomptif, s’avançait chaque jour d’un pas plus assuré dans la faveur publique. Auguste l’y aidait de tout son pouvoir, et dans son impatience