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chose de l’étiquette de la cour d’Espagne sous Philippe II. Un jour aux bains de Baïa, un jeune homme de qualité, Lucius Vicinius, croit de son devoir de venir présenter ses hommages à la princesse, et tout de suite Auguste le remet à sa place et lui reproche « sa démarche incorrecte » dans un de ces billets qu’il rédigeait en homme d’esprit et traçait en calligraphe.

Julie étouffait à la chaîne, en elle la nature violente se révoltait, et, quand le mariage ouvrit à ses ardeurs le libre espace, elle s’y précipita d’un de ces élans cent fois accrus par la compression. Ici commencent les grands jours de ses désordres. Avec Agrippa, l’ami de jeunesse et l’intime confident d’Auguste, le ferme soutien de l’établissement impérial et le plus populaire des héros de Rome, elle avait pu garder certains ménagemens; mais qu’avait-elle à se contenir vis-à-vis de ce Claudien ténébreux et toujours s’effaçant derrière une mère intrigante, de ce fils d’une Livie, trop honoré de s’unir au sang des princes dont elle était, et qui, — incapable de lui donner cette situation véritablement suprême où l’avait mise son second mari, — à tant de disgrâces joignait celle d’avoir jadis méprisé ses avances[1]? La liaison avec Sempronius Gracchus, entamée du vivant d’Agrippa, reprit de plus belle et comme à ciel ouvert. Après, en même temps, d’autres eurent leur tour : Murena, Cœpio, Lépide, Ignatius, Antoine, fils du grand triumvir, pour le goût des plaisirs, l’ambition, tenant de son père, plus doué cependant du côté des finesses de l’esprit, un délicat, presque un poète et l’ami d’Horace, qui l’a célébré dans une de ses odes. C’était là sans aucun doute une société fort immorale et comme les pouvoirs despotiques réussissent à en établir en faisant refluer dans la vie privée toutes les énergies militantes, toutes les forces habituées à se dépenser dans la vie publique. Plus de forum, plus de politique, mais un besoin effréné de luxe et de jouissances, de misérables intérêts de coterie, la foire aux anecdotes, aux scandales, mille pernicieux canaux par lesquels la dérivation s’opère. Auguste, en constituant sa monarchie, réunit tous les pouvoirs dans sa personne. Alors commence le rôle des femmes de la maison impériale, dont les caprices et les galantes équipées deviennent affaires d’état. Sous ses dehors d’élégance et de savoir-vivre, cette société, — ce grand siècle, ainsi qu’on l’appelle, — cache des abîmes de corruption. Sa littérature, ses beaux-arts, ses raffinemens de goût, pure surface, tapis de fleurs et gazons verts couvrant et dérobant l’infect marais! Le chantre

  1. Parmi les aventures de Julie qui déjà faisaient bruit, on se racontait un caprice qu’elle avait eu (étant la femme d’Agrippa) pour le fils de Livie, un des hommes les plus beaux et les plus robustes de ce temps ; mais Tibère négligea l’invite. En place du jeune lion qu’elle cherchait, la chasseresse au bois ne trouva qu’un sanglier grogron, et quitta le jeu sans pardonner.