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rapidement son habit de ses propres mains, et le valet l’aida à l’enlever. « Dépêche-toi, dépêche-toi, » lui dit son maître. Il s’avança sur le devant de l’échafaud et dit au peuple d’une voix forte et ferme : « Ne croyez pas que je sois un traître à ce pays. Je me suis toujours conduit honnêtement et loyalement en bon patriote, et comme tel je mourrai. » La foule était parfaitement silencieuse. Il prit ensuite la casquette de Jean Franken, l’enfonça sur ses yeux et s’avança vers le tas de sable, disant : « Que Christ soit mon guide. Seigneur, mon père céleste, reçois mon esprit. » Quand il fut sur le point de s’agenouiller, le visage vers le midi, le prévôt lui dit : « Que votre seigneurie se tourne de l’autre côté, pour que le soleil ne soit pas dans ses yeux. » Il s’agenouilla en effet, le visage tourné vers sa propre maison. Le valet prit congé de lui, et Barneveld dit au bourreau : « Faites vite, faites vite. » Le bourreau lui emporta la tête d’un seul coup. »

Beaucoup de témoins se jetèrent sur l’échafaud et trempèrent leurs mouchoirs dans le sang. Maurice était resté dans son cabinet pendant l’exécution avec le colonel Hauterive. Il écrivit le même jour à son cousin Guillaume, qui avait quitté La Haye pour n’être pas témoin de l’horrible drame : « Les juges ont été occupés de la sentence contre l’avocat Barneveld pendant plusieurs jours; elle a enfin été prononcée, et ce matin, entre neuf heures et neuf heures et demie, elle a été exécutée dans le Binnenhof, devant la grande salle. » Il ajoutait qu’il lui enverrait copie de la sentence, que la famille du coupable n’avait présenté aucune supplique pour obtenir son pardon.

La sentence, nous l’avons dit, ne prononçait point le nom de trahison. On y ajouta, avant de l’envoyer aux provinces, une déclaration des états-généraux, où il était dit, en termes vagues, que les états avaient reçu des juges diverses informations non spécifiées dans la sentence, et qui donnaient de fortes raisons de douter si Barneveld n’avait pas été en rapport avec l’ennemi de la Hollande. Ce n’était pas assez de tuer un innocent, il fallait outrager sa mémoire.

Grotius ne montra pas dans sa prison la fière tranquillité de Barneveld. Pendant que sa femme faisait preuve d’un courage stoïque, il fléchit devant la mort; il chercha des excuses, plaida, plutôt en coupable qu’en innocent; il parut douter même de celui qui, presque aussitôt après avoir entendu sa propre condamnation, avait dit : « Grotius doit-il mourir aussi? Il est si jeune, et pourrait vivre pour servir l’état. » — Grotius, comme Hoogerbeets, fut condamné à la prison perpétuelle. Il chercha sa consolation dans les lettres. Après deux ans de la plus rigoureuse captivité, il réussit à s’évader