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dérisoire de quelques corps d’échevins était peu de chose auprès de l’indépendance d’une nation. L’unité politique était une nécessité suprême dans le nouvel état, sans cesse menacé, qui avait presque autant à craindre de ses alliés que de ses ennemis. L’unité religieuse pouvait sembler aussi nécessaire à Maurice : le temps était passé où il demandait dédaigneusement si la prédestination était « verte ou bleue; » il avait épousé le calvinisme le plus intraitable, la religion la plus haineuse, la plus propre à soulever, à entraîner, à enivrer le peuple. Les prêcheurs contre-remontrans étaient ses tribuns, ses trompettes, ses hérauts; mais il méprisait secrètement les théologiens, le récit de leurs querelles importunait un homme habitué à l’ordre des camps ou au silence d’une cour taciturne. Il pensait que la religion des peuples doit être celle des princes. Le synode national qui devait fixer la liturgie, le gouvernement des églises et le symbole de foi était à ses yeux une mesure d’ordre public. Son triomphe était si complet qu’on se demande pourquoi il ne s’arrêta point sur la route de la vengeance : n’était-ce pas assez d’avoir fait plier les provinces et les cités, les états de Hollande et les vieux sénats des villes, d’avoir chassé les ministres arminiens de leurs temples, et d’avoir livré l’église à une secte devenue officielle? Barneveld n’avait pas levé le drapeau de la guerre civile; dès qu’il avait compris que Maurice serait le maître, son patriotisme avait fait taire ses alarmes, ses passions et ses répugnances ; il cédait, et c’est à ce moment même qu’on le jetait en prison, qu’on le dénonçait et qu’on s’apprêtait à le punir comme un traître vendu à la France et à l’Espagne.

Son procès fut une indigne moquerie de la justice : pas un des juges ne croyait sans doute aux accusations qu’on portait contre lui. Richelieu, qui pourtant n’était pas d’âme tendre, fut plus généreux que Maurice de Nassau : il respecta dans Louis de Rohan, longtemps rebelle à son autorité, un grand serviteur de la France; il ne lui demanda que d’aller la servir au dehors, et Rohan avait accepté l’exil, un exil encore actif et utile à son pays. La Hollande était peut-être trop petite pour contenir à la fois Maurice et Barneveld ; à Londres ou à Paris, ce dernier, accablé déjà par les années, aurait gémi en silence sur l’ingratitude du stathouder et d’un peuple qu’il avait tiré de l’oppression ; jamais il n’eût noué contre cette patrie, qui avait été l’idole de sa vie entière, des intrigues indignes de son grand cœur. Maurice n’en jugea pas ainsi : il vivait dans un temps où la vie comptait pour peu de chose; depuis cinquante ans, les âmes étaient tendues par la violence, raidies par la haine et le fanatisme dans ces provinces où il semble pourtant que tout doive inviter à la paix, les grands horizons, les gras pâturages,