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à l’église, source et maîtresse de vérité, avait pénétré jusque dans les sectes les plus misérables. Les dissidens ne voulaient pas de dissidens. Faut-il s’étonner d’une telle intolérance quand après deux siècles la vision des églises libres, élevées au-dessus de tous les intérêts terrestres, hors des grossières passions humaines, ne traverse encore que si peu d’esprits, quand chacun, aujourd’hui comme autrefois, veut se faire un bouclier de son Dieu et une arme de sa foi ? Barneveld avait l’âme véritablement tolérante; il voulait peut-être trop subordonner l’église à l’état, il demandait dans chaque église une orthodoxie un peu large, un peu facile, pour ne pas multiplier les schismes, il ne lui plaisait pas que les pasteurs devinssent les régens de l’état; il repoussait la rigide unité théologique. Malheureusement pour lui, il voulut appuyer le principe de la liberté théologique sur celui de l’indépendance provinciale, et la nécessité réclamait l’unité politique, la soumission des provinces à un gouvernement central. Les Provinces-Unies ne pouvaient vivre à l’état de faisceau toujours dénoué; la main de fer de Maurice prit ce faisceau et le serra de telle sorte qu’elles devinrent une nation.

Maurice résolut trois choses : établir l’unité religieuse au moyen d’un synode national, affermir l’unité politique en brisant les municipalités, se débarrasser de Barneveld. Nous allons le voir suivre ses projets avec une inflexible dureté. La ville d’Utrecht s’était armée à l’instigation de l’avocat de Hollande, non qu’il désirât commencer la guerre civile, mais il voulait que les provinces eussent en quelque sorte leurs places de sûreté. Au printemps de 1618, Maurice commença une tournée dans les provinces. Il va d’abord à Nimègue avec un grand appareil militaire, convoque les échevins, les réprimande et installe de nouveaux magistrats à leur place. Il continue ainsi de ville en ville dans cinq provinces, et partout dissout les gardes civiques. Une caricature du temps, raconte M. Motley, représente une balance. Sur un plateau, il y a de vieux parchemins, des chaînes d’or et des robes d’échevin avec cette inscription : « droit sacré de chaque cité; » sur l’autre plateau un volume, « les Institutes de Calvin. » Le plateau municipal est surveillé par Arminius, le plateau calviniste par Gomar. Des juges en perruque et en robe regardent la scène; le stathouder, en grand uniforme militaire, entre et jette son épée du côté des Institutes.

Le stathouder s’embarqua à Kampen pour aller par le Zuiderzée à Amsterdam. Il y fut accueilli avec des transports; le canon salua son approche. Il y entra plutôt comme un roi que comme le magistrat d’une république. Maurice se sentait désormais assez fort. Utrecht était le foyer principal du parti provincial attaché à Barneveld; cette ville, où les articles d’union avaient été signés, était