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que le bas peuple appela les dents de Barneveld. Maurice était devenu le chef avoué des contre-remontrans. Comme il arrive toujours dans les temps de révolution, l’imagination populaire résumait cette lutte entre deux factions théologiques et deux systèmes politiques dans une formule simple, dans un cri : « Orange ou Espagne ! » Orange, c’était le héros, le fils du martyr, le chef victorieux de l’armée; Espagne, c’était Barneveld, bien que toute sa vie il eût lutté contre la tyrannie espagnole, mais il n’avait lutté qu’avec la plume et la parole : son vaste labeur, ses veilles, ses tourmens, sa vie usée au service de sa patrie, n’avaient eu que peu de témoins. Parce qu’il ne voulait point de persécution, on l’accusa d’être un papiste déguisé. Maurice invoquait volontiers le serment qu’il avait prêté lorsqu’on l’avait nommé stathouder : il avait juré de défendre la religion réformée. Barneveld essayait de lui prouver qu’il y avait place dans la religion réformée pour d’autres que les purs calvinistes. « Je ne suis pas un théologien, disait Maurice. Faisons venir les ministres, et qu’un synode décide la question. » Un jour, Barneveld, Grotius et d’autres essaient de lui prouver que, si les contre-remontrans refusent de recevoir la communion des ministres remontrans, s’ils veulent avoir d’autres temples ou s’approprier les temples existans, l’état marche à sa ruine. Maurice mit la main sur son épée : « Il n’est besoin de discours fleuris ni d’argumens savans. Avec cette bonne épée, je défendrai la religion que mon père a plantée dans ces provinces, et je voudrais voir celui qui m’en empêchera! »

il fit plus; il quitta la paroisse où il avait coutume d’aller au prêche et se rendit solennellement, au milieu d’une foule immense, à un vieux cloître devenu l’église des dissidens. La procession passa sous les fenêtres de Barneveld. Le gant était jeté : Barneveld le ramassa, et c’est à la suite de cet événement qu’il obtint des états de Hollande une déclaration contre le synode général qui devait ériger la nouvelle secte en église officielle pour toutes les Provinces. Nous voyons ici, dans le microcosme hollandais, remuer toutes les passions qui agitaient l’Europe, les réformateurs, armés d’abord contre la persécution, devenir persécuteurs à leur tour, les fils des martyrs changés en bourreaux, les princes au service des églises et les églises au service des princes, les passions nationales et religieuses tantôt confondues, tantôt en conflit, enfin ce qu’il y a de plus vil et ce qu’il y a de plus noble servant aux mêmes desseins, encore mystérieux.

Personne ne respectait la liberté de l’âme humaine, personne ne trouvait naturelle la diversité des cultes : chaque église voulait dominer la société laïque; l’idée catholique de la soumission de l’état