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La souveraineté des Provinces-Unies n’était pas si bien établie qu’elles pussent mécontenter un seul de leurs alliés; Barneveld, en vrai patriote, marchandait un peu son amitié, cachait ses inquiétudes, ses antipathies et ses préférences sous les formes banales d’une diplomatie correcte. La finesse presque miraculeuse d’Henri IV avait deviné la haine secrète de Maurice pour Barneveld, il sentait dans le premier un ami de l’Angleterre, dans le second un ami de la France. A propos de quelques troubles qui eurent lieu à Utrecht, Aerssens écrit à Barneveld (3 avril 1610) : « Le roi désire que tout soit pacifié le plus tôt possible, de façon que les affaires publiques ne souffrent point d’embarras; mais il craint, m’a-t-il dit, que ces troubles ne fassent naître quelque nouvelle jalousie entre le prince Maurice et vous-même. Je ne comprends pas ce qu’il veut dire, bien qu’il m’ait tenu ce langage très explicitement et sans nulle réserve. Je n’ai pu que répondre que vous vivez ensemble dans les meilleurs termes, en parfaite amitié et intelligence. »

Barneveld, ne pouvant aller lui-même à Paris, y envoie son beau-frère en mission extraordinaire; il fait partir en même temps son frère pour Londres afin de tenir la balance toujours égale entre ses deux alliés. Le roi Jacques, qu’Henri IV appelait familièrement maître Jacques, fait sonner bien haut le prix de son alliance ; mais déjà, caressant le rêve d’un mariage espagnol pour son fils, il ne parle que de maintenir la paix. Il va jusqu’à invoquer ses droits sur les Pays-Bas. Henri au contraire, exaspéré par la conduite de Condé, irrité contre l’Espagne, sentant l’heure propice, veut « découpler les chiens, » entraîner rapidement le duc de Savoie avant qu’il n’ait eu le temps de mettre son alliance aux enchères. Il reçoit avec les plus grands honneurs Van der Myle, le beau-frère de Barneveld, et ses deux collègues, mais exprime tout d’abord le regret que Barneveld ne soit pas venu lui-même « la bride sur le cou, » et se plaint de la lenteur et de la timidité de messieurs les états. La première entrevue fut orageuse; le roi ne déguisa point sa mauvaise humeur. Il se plaignit qu’on ne lui eût point envoyé quelqu’un qui eût des pleins pouvoirs. Son ton prend une étrange majesté. « Il y a trois choses, dit-il, qui me font vous parler librement. Je vous parle comme à des amis qui me sont chers. Je suis un grand roi et dis ce que je veux dire. Je suis vieux et connais par expérience le train du monde. Je vous le dis, il est important que vous veniez à moi fermes et résolus sur tous les points. »

On éprouve une sorte de piété en relisant dans les rapports hollandais les dernières effusions de cet homme qui avec quelques tra- vers fut si véritablement grand. Henri méditait, après une courte et décisive campagne, de donner à l’Europe les bienfaits de l’ordre, de