Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/576

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appartenait à l’Espagne; deux ministres, Villeroy et Sillery, étaient d’anciens ligueurs, Épernon était un ennemi. Aerssens, l’habile ambassadeur des états, voyait sans cesse le premier ministre et le roi. Il raconte à Barneveld dans ses dépêches qu’à de certains momens le roi pressait Sully de se convertir. Un jour, il croit Sully perdu. Henri s’était laissé aller jusqu’à dire qu’il traiterait le duc comme le maréchal de Biron, et le ferait aussi petit qu’il l’avait fait grand. Ces boutades ne duraient pas; le roi savait que son ministre grondeur, haï de la cour, vain, d’humeur soupçonneuse et triste, était son vrai, son seul ami. Il avait deviné aussi dans Barneveld un allié sûr, plus dévoué à la France qu’à l’Angleterre, familier avec tous les ressorts de la politique européenne. « Sa majesté, écrit Aerssens (le 9 février 1609), admire et vante votre sagesse, qu’elle croit nécessaire à la conservation de notre pays, vous estimant un des plus rares et sages conseillers de notre âge. »

On sait comment tout d’un coup la paix se trouva menacée par l’ouverture de l’héritage des duchés de Clèves, de Berg et de Juliers. Les projets mûris par le roi pendant plusieurs années allaient se faire connaître. Ces territoires étaient placés comme une pomme de discorde entre la France, l’Allemagne, les Provinces-Unies, les Pays-Bas espagnols. Il était bien loin de la pensée du roi d’entreprendre une croisade religieuse; il savait mieux que personne que dans toute l’Europe les passions religieuses étaient un instrument des princes. Il ne songeait qu’à la grandeur de la France, comme fit après lui Richelieu; il voulait « couper la veine jugulaire de la prétendue monarchie universelle du roi d’Espagne, » comme le dit une dépêche d’Aerssens à Barneveld. L’archiduc Léopold se jeta dans Juliers; son plan était celui-ci : séquestrer les duchés au nom de l’empereur; si le coup réussissait, revenir à Prague, délivrer l’empereur du joug importun de son frère Mathias, recevoir en récompense la couronne de Bohême et la promesse de l’empire. Henri IV et Barneveld déjouèrent ce projet; les duchés furent occupés avec leur consentement par l’électeur de Brandebourg et par le palatin de Neubourg. « Léopold à Juliers, dit Henri IV, c’est un furet dans un trou de lapin. » Il fit avancer ses troupes vers Luxembourg, amassa son armée près de Metz, Toul et Verdun. Il reçut à Monceaux avec la plus grande hauteur Teynagel, le ridicule envoyé de Léopold, et lui déclara qu’il soutiendrait les princes, qui avaient établi leur condominium dans les duchés. Jeannin était présent à l’entrevue, « bien que, dit Aerssens dans sa dépêche, le roi n’eût pas besoin de pédagogue en cette occasion. » Il fit la même déclaration à l’envoyé des archiducs de Bruxelles. L’empereur lui dépêcha, pour expliquer ses intentions, un jeune prince de Hohenzollern, âgé de vingt-trois ans seulement.