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hommes! Henri IV, Barneveld. En dépit de son titre, le livre de M. Motley n’est pas une simple biographie. Barneveld est la figure autour de laquelle il a groupé l’histoire de l’Europe; les dépêches inédites du grand avocat de Hollande lui ont fourni les élémens d’un ouvrage où la richesse, la profusion des détails, ne font que par instans disparaître une trame forte et unie. M. Motley a pu pendant plusieurs années fouiller les archives de La Haye ; dans leur poussière, il a su retrouver les fils embrouillés de la diplomatie la plus savante, la plus prudente à la fois et la plus hardie, et il n’est pas étonnant que le politique qui pendant si longtemps avait tenu ces fils ait captivé son esprit, et qu’il l’ait suivi avec une sorte de pitié jusque sur l’échafaud où il expia le crime d’avoir trop aimé son pays, et d’avoir un moment servi de barrière à l’ambition d’un de ces hommes qui sont les glaives vivans d’une invincible fatalité.

Au moment en effet où s’ouvre la trêve qui couronnait les efforts des Provinces-Unies, deux hommes les résument pour ainsi dire aux yeux de l’Europe : Barneveld et Maurice de Nassau, l’homme d’état, le soldat. Maurice, entouré des trophées de cent combats, regardé par tous les hommes de guerre comme un maître, tirait encore une sorte de caractère sacré, aux yeux de la Hollande et de tous les pays protestans, du souvenir de son père, Guillaume le Taciturne, tombé sous le poignard d’un assassin. Il était la plus grande figure après Henri IV; qui pouvait se comparer à lui? Était-ce Jacques d’Angleterre, poltron, bavard, pédant et théologien couronné, ou le faible descendant de Philippe II, ou l’empereur d’Allemagne, Rodolphe, enfermé dans le Hradschin de Prague, toujours en querelle avec ses frères, réduit à l’impuissance et cherchant l’oubli dans ses galeries de tableaux, ses écuries, ou dans le ciel avec Kepler? Si Guillaume le Taciturne n’avait été assassiné, il est probable qu’il fût devenu roi : son fils pouvait sans crime aspirer à porter une couronne, d’autant plus qu’il n’ignorait point que l’indépendance absolue des Provinces-Unies, pour ne pas déplaire à l’Angleterre et à la France autant qu’à l’Espagne, ne laissait pas que de leur sembler quelque chose d’un peu trop audacieux. Tout le monde se souvenait encore que, dans leur détresse, les Provinces-Unies avaient cherché d’abord des rois à l’étranger. Au moment où Guillaume avait été assassiné, elles s’étaient crues d’abord perdues. Maurice n’avait que dix-huit ans; on avait imploré Elisabeth, Henri III; le roi de France, menacé par la ligue dans son propre royaume, ne songeait qu’à se défendre lui-même. Elisabeth reçut à Greenwich les ambassadeurs qui lui offraient la couronne des Pays-Bas, elle répondit qu’elle était avancée en âge (cela se passait en 1585), sans enfans, et qu’il n’y avait dans sa maison aucun prince qui pût aller prendre