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sans orages, aussi naïve que sur les bancs des écoles, aussi calme que dans le fond d’un cloître! » Au nom de l’Académie, son directeur, M. le comte Molé, répondit dignement à ce noble état d’âme et à ce beau langage.

Deux ans après la réception de M. Vitet à l’Académie française, la révolution du 24 février 1848 éclata. J’en ai retracé, dans mes Mémoires pour servir à V histoire de mon temps, les causes dominantes et les principaux incidens. Ce n’est pas ici le lieu d’y revenir. Je n’ai rien à changer dans ce que j’en ai déjà pensé et dit; le temps n’est pas venu où je pourrai porter plus loin ma pensée et mon récit; je n’ai nul goût aux réflexions et aux révélations prématurées qui aggraveraient, pour le gouvernement de mon pays, les difficultés de sa situation. Je ne ferai maintenant, sur le fait même de cette révolution, qu’une remarque : elle fut, pour les ministres que le roi Louis-Philippe nomma le 24 février 1848 en remplacement du cabinet conservateur du 29 octobre 1840, sinon une complète surprise, du moins un grave mécompte ; ils avaient souhaité une réforme constitutionnelle, non une révolution républicaine; eurent-ils le tort de ne pas prévoir le mouvement républicain et ses conséquences, ou celui de ne pas le combattre quand il éclata? Je n’en déciderai pas. On assure que l’un d’eux, loyal et fier, dit aussitôt après la crise où ils s’étaient montrés si imprévoyans et si impuissans : « Nous n’avons plus maintenant qu’à nous faire oublier. »

Quoi qu’il en soit, le succès momentané du mouvement républicain ne fonda point la république, et rejeta la France dans l’état révolutionnaire. Deux assemblées nationales s’usèrent en quatre ans à ce rude service; l’une, l’assemblée constituante, fit la constitution républicaine du 4 novembre 1848; l’autre, l’assemblée législative, essaya de la mettre en vigueur. Sous la première, M. Vitet ne reparut comme homme public que pour défendre le gouvernement de juillet dans son administration financière en démontrant par les faits qu’elle avait été régulière, éclairée et propice à la prospérité du pays[1]. En 1849, il fut élu membre de l’assemblée législative, et il y siégeait comme l’un de ses vice-présidens lorsqu’elle subit, le 2 décembre 1851, le coup d’état qui mit fin à son existence et inaugura l’empire. M. Vitet prit part ce jour-là, avec l’autorité de sa fonction et la dignité de son caractère, à tous les actes de résistance légale qu’opposa l’assemblée aux violences dont elle était l’objet; arrêté, comme la plupart de ses collègues, dans la salle de la mairie du Xe arrondissement, rue de Grenelle, il fut conduit au

  1. Dans un écrit intitulé la Vérité sur les finances du gouvernement de juillet, publié d’abord dans la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1848.