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Berlin. « Cette ville nous parut ennuyeuse après Paris. Il nous affligeait de voir que, chez une nation qui était notre alliée, ni les militaires, ni la population, ni même le gouvernement, ne nous marquaient la moindre sympathie. Nous étions curieux de voir une grande cérémonie qui se célébrait ce jour-là dans une église; on nous en interdit l’entrée. Une espèce d’officier supérieur vint à passer; nous lui expliquâmes que nous étions des officiers russes, revenant de France, où nous avions été en captivité, et que nous désirions voir la cérémonie. Il répondit : — Qui vous pouvez être m’importe peu. Vous voulez voir la cérémonie, qu’est-ce que cela peut me faire? — Nous nous retirâmes fort mécontens, n’ayant d’autre pensée que de quitter Berlin au plus vite. »


Le jour suprême de Sébastopol était arrivé. Le dernier épisode du siège fut la défense de 60 Russes dans la tour Malakof. Elle provoqua l’admiration sincère de leurs adversaires; ce fut même sur le témoignage de Pélissier, en quelque sorte sur sa proposition, que l’empereur Alexandre décora quatre officiers russes. L’armée ennemie se retira en faisant tout sauter derrière elle. Bien des cœurs se serrèrent quand il fallut abandonner ces remparts que leurs défenseurs avaient littéralement trempés de leur sang, ce fameux kourgane de Malakof, où leurs grands amiraux étaient morts, et le quatrième bastion, « cette colline immortelle où, sur l’emplacement d’une vigne pacifique, on avait construit pour les aiglons du tsar blanc une aire inaccessible. » Et quand, du rivage septentrional, les Russes purent contempler Sébastopol étendu à leurs pieds, fumant comme un titan sous les coups de foudre, bouleversé par des explosions qui étaient comme ses convulsions suprêmes, illuminant au loin la Mer-Noire de ses embrasemens, une poignante douleur envahit ses défenseurs. Ils eurent alors cette défaillance héroïque qui fait envier aux survivans le sort de ceux qui périrent avant d’avoir vu la défaite. Il leur semblait affreux de rentrer sans être vainqueurs dans la « sainte Russie. » Une nouvelle consolante pour eux, heureuse pour tous, vint bientôt faire diversion à leurs souffrances : malgré les proclamations belliqueuses de Gortchakof, on poursuivait activement les négociations. On eut l’armistice d’abord, puis la paix.

La guerre de Crimée est une des plus sanglantes du siècle : elle est peut-être celle qui a laissé après elle le moins de souvenirs pénibles. A l’assaut, en rase campagne, on se battait avec un extrême acharnement; on se faisait le plus de mal possible avec les engins les plus terribles dont on pût disposer : bombes, fusées à la congrève, grenades, mitraille, boulets creux, voire boulets rames. Hors