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tique avaient fait de notables progrès; le sentiment public repoussait toute révolution nouvelle. Jamais la situation des hommes qui voulaient sincèrement le roi et la charte n’avait été meilleure ni plus forte : ils avaient, dans l’opposition légale, fait leurs preuves de fermeté persévérante; ils venaient de maintenir avec éclat les principes essentiels du gouvernement libre; ils possédaient l’estime et même la faveur publique; les partis violens par nécessité, le pays avec quelque doute, mais aussi avec une espérance honnête, se rangeaient et marchaient derrière eux. S’ils avaient, à ce moment critique, réussi auprès du roi comme dans les chambres, si Charles X, après avoir, par la dissolution de la chambre des députés, poussé jusqu’au bout le droit de sa couronne, avait accueilli le vœu manifeste de la France, et pris ses ministres parmi les royalistes constitutionnels investis de la considération publique, je le dis avec une conviction qui peut sembler téméraire, mais qui persiste aujourd’hui, on pouvait raisonnablement espérer que l’épreuve décisive de la restauration était surmontée, et que, le pays prenant en même temps confiance dans le roi et dans la charte, l’ancienne dynastie et le gouvernement constitutionnel étaient fondés ensemble.

Mais ce qui manquait précisément au roi Charles X, c’était cette étendue et cette liberté d’esprit qui donnent à un prince l’intelligence de son temps et lui en font sainement apprécier les ressources comme les nécessités. « Il n’y a que M. de Lafayette et moi qui n’ayons pas changé depuis 1789, » disait un jour le roi, et il disait vrai; à travers les vicissitudes de sa vie, il était resté tel qu’il s’était formé dans sa jeunesse à la cour de Versailles, sincère et léger, confiant en lui-même et dans ses entours, peu observateur et peu réfléchi, quoique d’un esprit actif, attaché à ses idées et à ses amis de l’ancien régime comme à sa foi et à son drapeau. Sous le règne de son frère Louis XVIII, il avait été le patron de cette opposition royaliste qui fit hardiment usage des libertés constitutionnelles, et il s’était fait alors en lui un singulier mélange de son intimité persévérante avec ses anciens amis partisans de l’ancienne monarchie et de son goût pour la popularité nouvelle d’une physionomie libérale. Monté sur le trône, il se flatta sincèrement qu’il gouvernerait selon la charte avec ses idées et ses amis d’autrefois. M. de Villèle et M. de Martignac s’usèrent rapidement à son service dans ce difficile travail. Après leur chute, aisément acceptée, Charles X se trouva rendu à sa pente naturelle, au milieu de conseillers peu disposés à le contredire et hors d’état de le contenir. Deux erreurs funestes s’établirent alors dans son esprit : il se crut menacé par la révolution plus qu’il ne l’était réellement, et il cessa de croire à la possibilité de se défendre et de gouverner par le cours légal du régime