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ESSAIS ET NOTICES.

LA NOSTALGIE[1].


Les grands déplacemens temporaires de population qu’a provoqués la dernière guerre ont rappelé l’attention des médecins sur une maladie très bizarre, la nostalgie ou mal du pays, dont il s’est présenté, surtout parmi les mobiles rassemblés à Paris pendant le siège, des cas extrêmement curieux. Le mal du pays est en effet une vraie maladie, déterminant un ensemble de symptômes et de perturbations d’un caractère fort net, une maladie d’autant plus réelle qu’elle se termine souvent par la mort. Un médecin distingué, qui a eu occasion naguère, comme officier de santé de la marine, et plus récemment comme chef d’une des grandes ambulances de Paris, d’étudier de près la nostalgie, M. le docteur Benoist de La Grandière, a publié sur ce sujet un mémoire qui va nous fournir quelques faits intéressans.

Sauvage caractérise la nostalgie en quatre mots : morositas, pervigilio, anorexia, asthenia, ce qui veut dire : tristesse, insomnie, inappétence, faiblesse. Le nostalgique perd d’abord sa gaîté, son énergie, et recherche l’isolement pour s’abandonner à l’idée fixe qui le poursuit, l’idée de son pays. Il transforme, embellit les souvenirs qui se rattachent aux lieux où il a été élevé, et s’en crée un monde idéal dans lequel son imagination s’enferme si obstinément qu’il est impossible de l’en faire sortir. Il fuit les personnes qu’il aimait le mieux, repousse les distractions et s’irrite quand on cherche à le consoler. Cette certitude imaginaire qu’il a de ne plus revoir son pays, et le regret qu’il en éprouve, déterminent chez lui des troubles fonctionnels qui finissent par envahir toute l’économie. Les traits de son visage s’altèrent, ses yeux sont fixes et inanimés, sa physionomie exprime la stupeur; puis ses mouvemens se ralentissent et attestent une pénible indécision de la volonté. L’anémie survient, la peau devient sèche et terreuse, les muqueuses se décolorent, les sécrétions diminuent, le pouls tombe, des troubles circulatoires apparaissent. Du côté des fonctions digestives, la

  1. Diverses circonstances nous ont empêchés de publier plus tôt la notice qu’on va lire et qui était entre nos mains depuis quelque temps déjà. C’est la dernière que nous ait remise un de nos plus sympathiques collaborateurs, qu’une mort soudaine a enlevé prématurément à ses amis le 2 janvier, à l’âge de vingt-six ans. Né à Belfort en 1847, M. Fernand Papillon avait su très jeune encore acquérir une juste réputation de savant et d’écrivain. Nos lecteurs se rappellent les études où il traitait, avec une réelle compétence et en les prenant de haut, les questions scientifiques à l’ordre du jour; la plupart de ces essais ont été réunis par lui, un mois avant sa mort, dans un volume intitulé la Nature et la vie.