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de l’embouchure du fleuve qui met la ville en communication avec la mer, et à organiser un véritable blocus. Dégager Bilbao au plus vite, c’était là ce que le général Moriones avait à faire, et on ne doutait pas plus de son succès que de son habileté. Après une feinte pour attirer une partie des bandes carlistes vers le sud des provinces, Moriones s’est transporté rapidement à Santander, et il s’est avancé vers Bilbao avec sa petite armée. Il avait une quinzairfô de mille hommes avec de l’artillerie ; il est arrivé non loin de la ville bloquée, à Somorostro. On était plein de confiance, on a commencé l’attaque des lignes carlistes. Deux jours de suite, on s’est acharné au combat et on a été repoussé ; on a laissé sur le terrain plus d’un millier d’hommes, ce qui est certes beaucoup dans une guerre semblable. Un moment, la chute de Bilbao a paru inévitable, La ville, bombardée par les carlistes, a résisté néanmoins et elle résiste encore ; seulement elle avait perdu l’espoir d’être secourue pour le moment. Une autre conséquence de l’affaire de Somorostro a été l’abandon de la capitale de la Biscaye, de Tolosa, par les forces régulières du général Loma, qui s’est retiré, avec tout ce qu’il avait, à Saint-Sébastien. La situation devenait critique.

L’échec de Moriones n’a eu qu’un bon résultat : il est allé secouer un peu tous les esprits à Madrid. On a senti le coup que porterait au gouvernement la chute de Bilbao, On a quelque peu renoncé, du moins en apparence et momentanément, aux petits jeux de la politique. Le général Serrano a pris le titre de président du pouvoir exécutif, et il est parti pour le nord avec l’amiral Topete, emmenant avec lui tout ce qu’il a pu réunir de forces. C’est maintenant le général Serrano qui dirige lui-même les opérations à la place de Moriones, malade et disgracié ! Il est arrivé à Santander et est allé prendre le commandement. Quelle sera l’issue de la campagne nouvelle qui va s’ouvrir avec des forces accrues et des moyens de guerre plus considérables ? Le choc sera évidemment décisif. Si Bilbao est délivrée, si les carlistes sont battus, tout ne sera pas fini ; mais le coup sera moralement grave pour eux ; il n’est point impossible que leurs bandes découragées ne se dispersent. Serrano a certainement bien des chances en sa faveur. S’il échouait cependant, le gouvernement de Madrid serait, lui aussi, fort atteint et bien menacé. Les carlistes, il est vrai, ne seraient pas beaucoup plus sûrs du succès définitif ; même dans ce cas, ils auraient encore de la peine à dépasser l’Èbre, mais le nord tout entier leur appartiendrait. Ce serait un véritable péril pour l’Espagne, qui, en présence de cette cause absolutiste en armes, se trouverait avec un gouvernement battu, sans autorité morale. C’est à l’épée du général Serrano de trancher ce nœud redoutable.

CH. DE MAZADE.