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portefeuilles. Ainsi le duc de Richmond semblait désigné pour le ministère de la guerre ; mais il s’était montré dans la chambre des lords l’adversaire implacable des dernières réformes militaires, de la législation qui abolit l’achat des grades ; on a évité de le placer au ministère de la guerre, où sa présence eût paru peut-être trop significative, presque menaçante, on l’a envoyé au conseil privé. Au premier abord, M. Gathorne Hardy aurait dû rentrer au ministère de l’intérieur, où il a déjà déployé de sérieuses aptitudes ; mais M. Gathorne Hardy, dans des discussions économiques, s’est prononcé très vivement en faveur du capital contre certaines prétentions du travail. Or les ouvriers, qui sont maintenant armés du droit de suffrage, ont donné dans les dernières élections un assez large contingent au parti conservateur pour qu’on les ménage, et on a évité de replacer M. Gathorne Hardy au ministère de l’intérieur, on l’a envoyé au ministère de la guerre, où il va remplacer M. Cardwell. On a mis à l’intérieur un ami de lord Derby, M. Cross, qui a des opinions moins tranchées sur toutes les questions qui divisent les patrons et les ouvriers. M. Disraeli a voulu éviter toute apparence de préméditation réactionnaire. Les Anglais sont ainsi faits, un ministère conservateur ne songe pas à détruire ce qui a été réalisé par un ministère libéral, et le torysme s’est modifié singulièrement depuis trente ans ; il a su se plier aux nécessités de l’époque, renoncer à l’inflexibilité de ses opinions les plus anciennes. Il ne dédaigne plus les classes populaires, et cette réforme électorale qui vient de lui profiter, c’est lui qui en a été il y a six Ou sept ans sinon le promoteur, du moins l’exécuteur, après l’avoir reçue du cabinet libéral auquel il succédait alors.

Quelle sera maintenant la politique du ministère Disraeli ? quelles chances de durée lui sont réservées ? Il ne s’est manifesté jusqu’ici par aucun acte sérieux, pas même par le discours de la reine, qui n’a point été prononcé à l’ouverture du parlement le 5 mars, qui a été réservé, selon le vieil usage anglais, pour le moment où les ministres récemment nommés auront subi l’épreuve de la réélection. Tout dépendra sans doute de la politique qu’on suivra, des événemens qui pourront survenir. A ne voir que le début, M. Disraeli est aujourd’hui en possession d’une majorité disciplinée, compacte, de plus de cinquante voix en face d’adversaires divisés avant la bataille, plus divisés encore et découragés après leur défaite. M. Gladstone a tout d’abord à recomposer son armée, à la rallier avant de pouvoir profiter des circonstances favorables qui lui seront offertes. Au moment où il entre aux affaires du reste, le nouveau ministère se trouve délivré de cette guerre entreprise par le dernier cabinet sur les côtes d’Afrique contre les Achantis, et que M. Disraeli avait très vertement critiquée. L’expédition est maintenant accomplie et terminée. Le commandant en chef, sir Garnet Wolseley, vient d’annoncer sa victoire, et même un traité a été signé. Le com-