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alcoolique. Il en offre tous les symptômes : les hallucinations sensorielles, l’apparition des animaux immondes, les impressions d’épouvante; mais il possède en propre deux caractères : la fièvre appréciable seulement au thermomètre et le tremblement généralisé. La main de l’ivrogne tremble toujours; mais l’agitation ne se communique pas au corps tout entier. Le malheureux attaqué du delirium tremens est au contraire secoué par des frémissemens et des ondulations qui ne laissent pas un muscle en repos, et tandis que le délire simple est susceptible de guérison, le delirium tremens est le plus souvent mortel. Le buveur qui doit atteindre la troisième période de l’empoisonnement, l’alcoolisme chronique, ne présente que rarement les accidens suraigus du delirium tremens ou même du délire alcoolique simple ; il arrive au terme fatal par une marche progressive et lente. Sa condamnation est pourtant certaine. Les ravages de l’alcoolisme, pour être latens, n’en sont pas moins pitoyables ; ils se sont accomplis sans bruit, dans le silence de la vie végétative. Deux alternatives seulement s’ouvrent devant le malheureux alcoolisé : la dégénération graisseuse ou stéatose, qui le conduit à la démence, — ou l’irritation diffuse, la sclérose, qui le fait tomber dans la paralysie générale. Dans les deux cas, c’est une fin odieuse. Quel regret peut laisser aux parens ou aux spectateurs de ces lamentables maladies la catastrophe qui en est le dernier dénoûment? Avant d’être arrivée à ce terme extrême, la vie du vieil alcoolisé ne vaut déjà plus qu’on la pleure. Ce n’est plus un homme que cet être livré aux caprices de ses appétits instinctifs, dont l’imagination est morte, l’intelligence émoussée, le jugement incertain, le caractère hypocondriaque et indifférent. Son visage est défiguré par des éruptions, sa main est agitée par des tremblemens perpétuels, son pied est hésitant, sa démarche traînante; il est la proie de tous les maux.

C’est un miracle si, dans l’état de prédisposition morbide où le met sa déchéance physique, le buveur peut parvenir au terme de l’empoisonnement alcoolique. Non-seulement il est plus sujet aux maladies intercurrentes, mais celles-ci présentent chez lui un caractère spécial de gravité. M. Bergeron fait remarquer que, dans les épidémies de choléra, le chiffre des victimes atteignait toujours son maximum à la suite des grandes libations de la semaine, c’est-à-dire le mardi ou le mercredi. La fièvre typhoïde, la dyssenterie, la variole, sévissent de préférence sur les ivrognes. Le danger de toutes les maladies aiguës est augmenté chez eux par le délire fébrile. Enfin on a constaté les conséquences désastreuses de l’état d’ivresse, et à plus forte raison de l’alcoolisme confirmé, pour les hommes atteints de blessures. Les menaces du phlegmon, de l’érysipèle, de la gangrène, sont constamment suspendues sur eux, la cicatrisation de