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repoussantes. Dans les premiers jours, les fausses images défilent sans interruption devant les yeux du malade : les hallucinations ne lui laissent ni repos ni trêve. Bientôt après les crises s’espacent; mais l’attaque délirante gagne alors en violence ce qu’elle perd en durée. Elle éclate souvent pendant la nuit, mais plus souvent encore à la tombée du jour, à ce moment crépusculaire que M. Baillarger a signalé depuis longtemps comme le plus favorable à l’éclosion des troubles hallucinatoires. Le malade voit des animaux, des rats, des chats, des fourmis, des insectes, des scorpions, des crapauds, qui courent autour de lui, sur lui; ce sont des araignées qui se glissent entre sa chair et sa peau, des vers qui rongent son corps, qu’il essaie de saisir, de rejeter loin de lui, en proie à la plus profonde anxiété; ce sont des griffes qui se plongent dans son dos, des bêtes froides et mouillées qui se traînent sur ses cuisses... Pendant que ces hallucinations traversent son cerveau, il est sans cesse en mouvement, il va, il vient, il court, il saisit à terre des objets imaginaires, il les rejette. En lui parlant d’une voix forte, on fixe son attention, et on écarte pour un instant les visions qui l’assiègent, mais elles reprennent bientôt leur empire. Dans son délire, il transforme toutes ses impressions en images effrayantes : le son de la cloche est un glas funèbre, tes discours qu’on tient devant lui sont des reproches, des plaintes, des gémissemens, des prières d’un parent; un bruit de voix éloignées lui paraît une clameur tumultueuse, un appel de détresse. Il aperçoit des étincelles, des incendies, des émeutes, des batailles : des boules noires, qui prennent la forme d’animaux immondes, se détachent des murs, grandissent, se précipitent sur lui, rentrent dans la muraille. On massacre ses enfans sous ses yeux; lui-même, on le frappe, on le déchire. Ces exemples suffisent à faire comprendre le caractère terrifiant et la mobilité extrême des illusions délirantes et des perversions sensorielles de l’alcoolique. Les accès durent plus ou moins longtemps, se reproduisent plus ou moins souvent. D’ordinaire la guérison est possible, si le délire alcoolique reste simple et ne prend point les caractères du delirium tremens, qui présente un pronostic beaucoup plus sévère et entraîne fréquemment un dénoûment fatal.

Chez le buveur d’eau-de-vie, les attaques délirantes sont tardives, et il faut des mois, des années pour qu’elles apparaissent : chez le buveur d’absinthe, il suffit de quelques semaines ou même de quelques jours. Les conséquences de l’ivrognerie sont alors bien plus précoces. Lorsqu’un homme arrive après un petit nombre d’excès, avec une rapidité inusitée, aux accidens de l’alcoolisme avéré, aux hallucinations terrifiantes ou à l’épilepsie, on peut à coup sûr incriminer l’absinthe.

Le delirium tremens est aujourd’hui nettement distingué du délire