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donnent un appui expérimental à cette opinion, elles ont démontré en effet que l’essence mêlée à l’alcool dans la liqueur d’absinthe a une influence propre et détermine par elle-même des accidens que l’on avait à tort imputés à l’alcool. M. Magnan a su démêler par une analyse délicate la part qui revenait à l’une et à l’autre substance dans les troubles variés que l’on observe chez les buveurs d’absinthe. La conséquence est que l’on doit aujourd’hui distinguer l’empoisonnement par l’absinthe pure ou absinthisme de l’empoisonnement par l’alcool ou alcoolisme.

Si l’on connaît la plupart des phénomènes morbides qui constituent l’alcoolisme, on n’en connaît guère le mécanisme intime. On n’a qu’une idée vague de l’évolution que l’alcool subit dans l’organisme. On le suit jusqu’au moment où il entre dans le sang et s’y mélange : on le voit pénétrer avec le liquide sanguin dans la profondeur des tissus et s’y arrêter pendant quelque temps. Le buveur est donc imbibé d’alcool jusque dans l’intimité de ses fibres; l’expression « se noyer dans le vin » n’est pas une simple métaphore. L’alcool est ensuite éliminé par les émonctoires naturels. Le poumon renvoie à chaque expiration des bouffées de vapeurs alcooliques; une autre portion d’alcool prend la voie de la sueur ou de la salive; une autre encore disparaît par le rein. L’alcool ne reste donc pas dans l’organisme ; il en sort après un court séjour, et c’est pendant ce séjour qu’il fait subir aux tissus des lésions dont les conséquences se développent, les unes immédiatement, les autres à plus longue échéance.

Est-ce tout l’alcool ingurgité qui disparaît ainsi, ou n’est-ce qu’une fraction, l’excès, le trop-plein? La substance sort-elle tout entière telle qu’elle est entrée, sans rien laisser dans l’organisme, qu’elle n’aurait fait que traverser, ou bien une certaine portion de cette substance se fixe-t-elle dans l’organisme pour participer aux échanges de la nutrition et de la respiration, comme font les véritables alimens? Les deux théories ont été soutenues et sont encore en présence. L’une, la doctrine que l’alcool est un aliment, est la doctrine ancienne, que Liebig et l’école chimique ont créée et soutenue : elle a régné sans conteste jusqu’à ces dernières années. Elle est d’accord avec le préjugé vulgaire qui veut que l’alcool soit l’agent nourricier par excellence, la source de force et de vigueur qui met l’homme en état de fournir aux plus rudes travaux; on a été jusqu’à le désigner comme « l’engrais véritable du corps et de l’intelligence.» Liebig soutenait non-seulement que l’alcool alimente l’organisme, il indiquait encore comment il l’alimente : c’était un aliment respiratoire, destiné à brûler dans l’économie pour en entretenir la température : l’alcool s’oxydait, il se transformait en aldéhyde, puis en acide acétique et acide oxalique, et finalement, par