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L’ALCOOLISME
ET
L’ABSINTHISME


I.

L’abus des boissons fermentées est aussi ancien que le monde; mais l’extension que cet abus a prise, le caractère d’aggravation qu’il a revêtu, en ont fait une des calamités particulières de notre époque. L’homme d’aujourd’hui ne s’enivre pas seulement, comme l’homme d’autrefois, dans l’entraînement des repas, avec des liqueurs naturelles et généreuses, le vin, la bière ou le jus des fruits; il s’administre des préparations artificielles hors de table, à jeun, comme on use d’un poison ou d’une médecine que l’on veut rendre plus efficace. L’alcoolisme moderne est autre chose que la brutale et passagère intempérance du passé. Il en a tous les défauts : comme l’excès du vin, que l’Ecclésiaste défendait aux Hébreux, « il fait naître la colère et cause beaucoup de ruines; » mais il possède par surcroît des vices qui lui sont propres et une malignité inconnue des anciens. Des études médicales récentes ont mis hors de doute l’efficacité meurtrière du poison alcoolique et l’influence pernicieuse qu’il exerce sur l’organisme et sur l’intelligence de l’homme. C’est donc un fléau qui se manifeste à nous, un fléau nouveau, une production spontanée et caractéristique de notre civilisation. Une habitude si générale doit avoir un retentissement profond sur la condition morale, sociale ou physique de notre société : il est des momens de crise où cette action souterraine de l’alcoolisme éclate tout à coup au grand jour. Nous avons assisté, il y a trois ans, à une éruption de ce genre. À ce moment, le mal est devenu évident à tous les yeux; le guérir était le but de tous les efforts. Tout le monde a compris alors le rôle considérable que l’alcoolisme joue dans nos mœurs, tout le monde a prévu les dangers dont il menace l’avenir.