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gagemens se renouvellent chaque jour, comme plusieurs bandes opèrent sur divers points à la fois, le nombre des victimes de la guerre finit par devenir fort considérable. En outre le grand danger de cette sorte de combats, c’est que la lutte y dégénère fatalement en guerre d’extermination, et que le soldat y prend bien vite les allures et les mœurs d’un bandit. Ainsi est-il arrivé pour les Espagnols et les insurgés. Là encore, les deux partis se renvoient le blâme et s’accusent réciproquement des plus affreuses cruautés. Et de fait, dès le début de l’insurrection, trop certains de la haine qu’ils inspiraient, n’espérant plus regagner le cœur des créoles par la clémence, les Espagnols voulurent du moins les contenir par la terreur. On connaît la proclamation que le comte de Yalmaseda, général en chef de l’armée d’Orient, datait de Bayamo le 4 avril 1869. « Tout individu au-dessus de quinze ans qui sera trouvé hors de sa propriété et qui ne pourra justifier de son absence sera immédiatement fusillé. Toute habitation inoccupée ou sur laquelle ne flottera pas un pavillon blanc, en signe que ses habitans demandent la paix et sont dévoués au gouvernement national, sera réduite en cendres. » Ces ordres terribles ne furent que trop bien suivis. Le soldat espagnol est cruel par nature ; aussi cruel que vaillant, rien n’égale son énergie dans l’action, sinon sa férocité après le combat, et plus d’une fois ses chefs eux-mêmes ont eu à se plaindre de ses instincts sanguinaires, qui déshonoraient jusqu’à la victoire. Ici les excès commis dépassent toute imagination. Les exécutions, les massacres n’étaient du reste que le complément de mesures préventives, plus funestes encore et plus odieuses, s’il est possible. Ainsi le décret rendu vers la même époque par le général de Rodas, en vertu duquel la population tout entière des districts du centre, pour être plus facilement surveillée, fut concentrée dans la petite ville de Santi-Spiritus ; il fallait bien obéir. Une épidémie ne tarda pas à se déclarer parmi ces malheureux privés d’espace et de nourriture ; beaucoup périrent, et avec eux la majeure partie des soldats préposés à leur garde.

Comme on pouvait le prévoir, les Cubains provoqués de la sorte ne sont pas demeurés en reste, et de ce côté aussi la lutte a pris trop souvent un caractère d’odieuse sauvagerie. Déjà, par représailles, Cespedes avait déclaré que tout prisonnier convaincu d’avoir pris volontairement les armes contre les Cubains serait aussitôt fusillé ; seuls les simples soldats de l’armée régulière pouvaient compter sur quelque pitié. Un autre décret, autorisé par la chambre même des représentans cubains, pour faire le désert devant l’ennemi, ordonna de brûler les champs de cannes et les plantations. Enfin, au milieu de l’exaltation générale, les mauvaises passions de chacun trouvaient à se donner carrière. Il faut avoir lu le récit de la guerre