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Cette attitude des ministres espagnols était-elle tout à fait désintéressée ? S’il faut en croire les Cubains, plusieurs hauts personnages se seraient laissé gagner par le parti esclavagiste. Toujours est-il que ce parti ne négligea rien pour rompre un projet qui pouvait lui être si funeste. Depuis quelque temps déjà, trente canonnières, commandées par l’Espagne dans les ports de l’Union, y étaient retenues officiellement, sans raisons bien nettes, il est vrai. Cette question, subitement soulevée, vint fort à propos fournir au cabinet de Madrid le prétexte qu’il cherchait pour couper court aux pourparlers. Il se plaignit de la conduite peu amicale des États-Unis, parla de l’honneur castillan et se déclara prêt à affronter la situation qu’on lui créerait : il protestait du reste de ses bonnes intentions et s’engageait à faire aux Cubains les concessions les plus précieuses, pourvu qu’on ne voulût pas lui forcer la main ; en même temps, des bruits de guerre étaient habilement semés dans le public et dans la presse. À New-York, le général Rawlins, secrétaire de la guerre, le partisan le plus zélé des Cubains, venait de mourir ; le président Grant avait en M. Fish une entière confiance ; celui-ci eut peur de faire naître des complications politiques et retira sa médiation. L’échec était complet. L’histoire des diverses phases de la négociation, quand elle fut connue en Amérique, souleva des tempêtes à la chambre des représentans ; soutenus par l’opinion publique, les députés furent sur le point de porter un vote en faveur de l’insurrection cubaine ; la discussion dura trois jours, et, pour calmer les esprits, il ne fallut rien moins qu’un message du président Grant, qui allégua les difficultés du moment, donnant d’ailleurs à entendre qu’il avait d’autres moyens plus sûrs pour obtenir l’indépendance de Cuba. En dépit de cette assertion, le rôle de la diplomatie était bien fini, et les événemens désormais allaient suivre leur cours.

II.

Il est fort difficile de connaître la vérité sur ce qui se passe aujourd’hui à Cuba. Plus que jamais le gouvernement se fait une politique de couvrir d’un voile épais les affaires de la colonie ; on n’a donc rien ou presque rien d’officiel, et, si chaque jour les journaux espagnols reviennent sur cette question irritante, les faits qu’ils avancent sont si contradictoires, leurs jugemens si partiaux, qu’on ne peut raisonnablement y ajouter foi. Les Cubains, de leur côté, soutiennent leur cause par tous les moyens : divers journaux ont été fondés tant dans l’île qu’en Amérique ; il existe même une junte ou comité cubain, créé avec l’autorisation du gouvernement révolutionnaire et résidant à New— York, qui travaille à gagner des