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LA QUESTION CUBAINE.

tiels obtenus à grand’peine, l’Espagne n’est guère plus avancée que le premier jour, les Cubains résistent et semblent devoir résister longtemps. Peut-être, il est vrai, cette longue résistance prouverait-elle non pas seulement l’énergie de la race, mais aussi la légitimité d’une insurrection qui puise dans les convictions et le désespoir de ses partisans la force de défier ainsi le temps et les revers.

Il en coûte d’avoir à le dire, mais les malheurs de l’Espagne sont dus surtout à ses fautes. Avec beaucoup d’à-propos, au début même de l’insurrection qui nous occupe, M. Édouard Laboulaye rappelait un pamphlet anonyme publié en 1773 par Franklin dans un journal de Londres et intitulé malicieusement Règle pour faire d’un grand empire un petit. C’était le moment où la querelle s’envenimait entre l’Angleterre et ses colonies d’Amérique. « Si vous voulez qu’une séparation soit toujours possible, disait aux ministres anglais le spirituel vieillard, prenez un soin particulier afin que les colonies ne soient jamais incorporées à la métropole ; ne les faites point jouir de vos libertés, gouvernez-les par des lois de votre fabrique. Exploitez leur commerce, réglez leur industrie, imposez-les à votre gré, dépensez suivant votre caprice cette richesse qui ne vous coûte rien. Donnez un pouvoir despotique au général qui commande en votre nom, affranchissez-le de tout contrôle colonial. Si les colons réclament, ne les écoutez pas ; accusez-les de haute trahison et de rébellion, dites que toutes ces plaintes sont l’invention de quelques démagogues et que, si on pouvait attraper et pendre ces misérables, tout irait bien. Au besoin, attrapez-en quelques-uns et pendez-les : le sang des martyrs fait des miracles. À suivre cette voie, vous en arriverez infailliblement au but de vos désirs ; soyez sûrs qu’en peu de temps vous serez débarrassés de vos colonies. » Le programme de Franklin, fidèlement appliqué par l’Espagne et par l’Angleterre, a pour l’une et l’autre porté les mêmes fruits : après l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, elle aussi, s’est déclarée indépendante ; mais, tandis que l’Angleterre aujourd’hui, revenue à des idées plus pratiques, laisse les colonies qui lui restent vivre, se développer, s’administrer librement, seule, l’Espagne s’entête dans ses vieux erremens et veut perpétuer à Cuba, en plein xixe siècle, une politique digne des jours les plus tristes de son histoire.

De 1812 à 1837, le gouvernement de Cuba a passé par les mêmes vicissitudes que celui de la mère-patrie, avec lui profitant des révolutions libérales, avec lui aussi retournant à l’absolutisme, et c’était là peut-être pour les créoles une consolation ; mais du jour où par un article additionnel de la constitution de 1837 ses députés furent exclus des cortès, quels que soient les hommes ou les idées qui aient triomphé dans la Péninsule, Cuba a toujours vécu sous le