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politique; les Afghans aussi en ont une au milieu de leurs plus violentes discordes civiles : ils veulent rester indépendans et ne souffrir aucune intervention étrangère. La première armée européenne qui pénétrera dans ses montagnes sera traitée en ennemie; tous les partis, Douranis ou Baroukzies, se coaliseront contre elle; la seconde sera considérée comme une libératrice. Au contraire, les trois états ousbegs sont divisés au moment le plus critique de leur histoire. Que les Russes attaquent le Kharism ou le Khokand, l’émir de Bokhara ne songe qu’à profiter de la circonstance pour arracher quelques provinces à ses voisins, et, s’il prend enfin les armes contre l’ennemi commun, c’est trop tard; battu lui-même, il est réduit à implorer une paix honteuse. L’ensemble des événemens qui ont amené ce résultat s’est suffisamment révélé dans le récit qui précède; le fanatisme, l’isolement politique et religieux, la tyrannie la plus absolue et la corruption qu’elle engendre, voilà par quelles causes les souverains des trois khanats et leurs sujets ont perdu leur indépendance. Les états ousbegs devaient périr; ils ont péri. Le drapeau russe flotte sur la plus haute mosquée de Samarcande; les touristes peuvent aujourd’hui s’y promener sans péril; les officiers du tsar s’y donnent des fêtes et des concerts. C’est un nouveau centre de civilisation qui se crée au cœur de l’Asie; la ville de Timour y retrouvera peut-être sa splendeur des temps passés.

Que pense l’Angleterre de ces conquêtes russes dans l’Asie centrale? Si elle est mécontente, elle n’ose trop le faire voir. Quelles bonnes raisons ferait-elle valoir d’ailleurs, après avoir si largement pratiqué la politique d’annexion dans les limites où cela lui était possible, après avoir réduit en vasselage les plus glorieux potentats de la péninsule, après avoir enseigné dans l’Inde aussi bien qu’en Amérique, en Afrique et dans l’Australie, que les sociétés barbares sont incapables de conserver leur indépendance dès qu’elles entrent en relations quotidiennes avec un gouvernement européen? N’est-ce pas aux hommes d’état anglais que nous devons cette maxime de politique internationale, qu’il est plus prudent et moins onéreux de soumettre des peuplades sauvages que de repousser leurs attaques? Cependant, lorsque la récente campagne contre Khiva fut annoncée, le cabinet de Londres s’en émut au point que le gouvernement de Saint-Pétersbourg se crut obligé de fournir quelques explications. Entre Samarcande et le port de Krasnovodsk sur la Caspienne, le Kharism était presque une enclave des territoires russes; de plus, perdue au milieu des steppes, Khiva ne saurait être une base d’opérations pour une marche en avant au-delà de l’Oxus. Néanmoins, avant que les colonnes russes ne se missent en marche, le comte Schouvalof fut dépêché à Londres en mission extraordinaire, chargé