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qui lui proposaient le parti de l’audace. Plus que ceux qui se montraient impatiens d’action, le commandant en chef avait sans doute à se préoccuper des moyens de faire vivre l’armée, de son approvisionnement de munitions qu’on lui représentait presque comme épuisé. C’était la considération qui paraissait le déterminer, qui lui servait au moins de prétexte. En réalité, depuis le matin, surtout depuis que le départ de l’empereur lui laissait sa liberté, il semblait tourner sa pensée bien moins du côté de Verdun que du côté de Metz. Il s’était défendu, il avait tenu tête à l’ennemi énergiquement et même avec une intrépidité personnelle qui n’avait rien de nécessaire dans sa position ; pas un seul instant dans la journée il n’avait laissé voir le dessein de pousser un mouvement offensif, même lorsque l’arrivée du 3e et du 4e corps lui en donnait les moyens.

Chose étrange, il avait bien plutôt la préoccupation fixe de se tenir en garde contre des tentatives des Prussiens pour couper ses communications avec Metz, et l’ennemi n’y songeait guère, puisque depuis huit jours il manœuvrait précisément pour arriver sur notre ligne de retraite vers le sud. Bazaine obéissait-il dès lors à quelque calcul inavoué, à la pensée secrète de rester indépendant autour de Metz ? n’était-il tout simplement qu’un soldat qui s’était bien battu et qui, trouvant la route fermée devant lui, ne voyait rien au-delà ? Toujours est-il que dans la nuit du 16 au 17, au lieu de recevoir l’avis de se porter en avant, tous les chefs de corps recevaient l’ordre imprévu de se replier, de se rapprocher de nouveau de Metz. C’était une retraite qui n’avait rien de définitif, il est vrai, qu’on représentait comme une halte nécessaire avant de reprendre la marche sur Verdun, mais qui frappait chefs et soldats d’une surprise douloureuse autant qu’elle étonnait l’ennemi lui-même, qui, accablé de ses pertes, ému de la lutte sanglante de la journée, ne croyait pas avoir si complètement réussi. Les Prussiens s’inquiétaient bien plutôt de l’attaque à laquelle ils se croyaient exposés ; ils s’attendaient si peu à ce qui arrivait que le matin du 17 ils s’avançaient avec une circonspection extrême sur le plateau qu’ils trouvaient évacué, et c’est alors qu’éclatait le cri de triomphe ; ce n’est qu’après vingt-quatre heures qu’on annonçait à l’Allemagne la grande victoire, — la victoire chèrement achetée, — dans les bulletins envoyés à Berlin !

La situation se trouvait par le fait étrangement changée. Si l’on n’avait pu du premier coup forcer le passage sur la route de Verdun, il devait être certainement beaucoup plus difficile de reprendre cette marche après deux ou trois jours, lorsque l’ennemi, maître des plateaux avancés, de tous les débouchés, aurait eu le temps de se fortifier, de faire arriver des masses nouvelles. On s’exposait,