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mouvement. Tout était là, et c’est justement l’origine de ce qui allait arriver le lendemain 14, de cette affaire de Borny, dernier mot d’une incohérente campagne de huit jours, prélude de ces autres affaires gigantesques, glorieuses, inutiles, où nos soldats, toujours les mêmes au combat, allaient déployer tant d’héroïsme pour rester fixés à la place arrosée de leur sang.


IV

Le 14 août, tout se disposait pour la retraite irrévocablement décidée dans la nuit. Elle devait commencer sur les deux ailes, d’un côté par le 2e et le 6e corps, de l’autre côté par le 4e corps de Ladmirault, tandis que le 3e corps, campé en avant de Borny, se replierait le dernier sur la garde, qui alors repasserait elle-même la Moselle pour traverser Metz. L’empereur semblait donner le signal du départ en quittant Metz vers midi avec le prince impérial, après avoir adressé aux habitans une proclamation assez mélancolique, où il leur recommandait de défendre leur ville, « boulevard de la France, » et où il faisait appel à des « temps plus heureux. » Il s’éloignait tristement, le visage abattu, l’esprit agité de préoccupations sombres, ne rencontrant qu’une population morne et silencieuse qui voyait passer cette majesté à demi découronnée. L’empereur allait, pour première étape, s’établir à quelques kilomètres de Metz, à Longeville, sur la route de Verdun, précédant l’armée et résolu à précipiter son voyage aussitôt qu’il la verrait en marche. Rien n’avait troublé les mouvemens militaires de la matinée. Le maréchal Canrobert, qui se trouvait à portée de la Moselle et du pont du chemin de fer, ne rencontrait aucune difficulté. Le 2e corps passait sans plus d’obstacle. De son côté, le général de Ladmirault avait acheminé déjà au-delà de la Moselle ses bagages et une partie de son corps ; il avait encore sur la rive droite la division Grenier, demeurée la dernière en position. Le général de Ladmirault se retirait avec prudence, gardant de l’artillerie et de la cavalerie sous sa main, se méfiant beaucoup, parce que depuis le matin il voyait l’ennemi se rapprocher. Le 3e corps enfin commençait lui-même son mouvement. Il était à peu près trois heures, lorsque tout à coup on se voyait violemment assailli en avant de Borny par le bois de Colombey.

Que se passait-il donc ? C’était une action des plus sérieuses et des plus vives s’engageant presque à l’improviste sur ce plateau ondulé et accidenté de la rive droite de la Moselle, qui va en se relevant vers le nord jusqu’au point culminant de Sainte-Barbe, que traversent les routes de Strasbourg, de Sarrebruck, de Sarrelouis, et où se dessinent comme de fortes coupures le ravin profond de Vallières,