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prussiens qui s’étaient succédé au combat pendant toute la journée restaient confondus. Une partie de la l’armée de Steinmetz était encore en arrière, au-delà de Sarrebruck ; le IIIe corps, qui n’avait pu arriver au feu qu’après une marche forcée, appartenait à la IIe armée, qu’il précédait à distance. Les chefs allemands, maîtres du champ de bataille, n’avaient songé le 6 au soir ni à poursuivre le général Frossard, qui leur échappait dans la nuit, ni surtout à s’avancer sur la route de Saint-Avold, où ils pouvaient se jeter avec des corps en désordre sur nos divisions qui n’avaient pas été engagées. Là aussi les premiers jours étaient employés à un travail de ralliement et de concentration. On prenait pied sur le sol français, sans dépasser encore Forbach, qu’une division du VIIe corps enlevait le 7 au matin presque sans coup férir. La IIe armée de son côté arrivait par Sarreguemines, envoyant un de ses corps, le IVe, dans la direction de Bitche, où l’on pouvait croire qu’il y avait des forces françaises, balayant le terrain devant elle de façon à pouvoir déboucher tout entière.

En un mot, avant d’aller plus loin, sur toute cette ligne de la Lorraine à l’Alsace, l’ennemi, maître des entrées de la France, faisait justement ce que le général Trochu caractérisait d’un mot pénétrant : il imprimait « l’équilibre à ses têtes de colonnes. » Non-seulement il se concentrait, mais encore, comme s’il n’avait pas été assez nombreux, il trouvait moyen d’appeler dès ce moment des forces nouvelles. Ainsi la Ve armée recevait le Ier corps du général de Manteuffel, qui lui arrivait de Berlin, et elle comptait maintenant trois corps, plus la Ire et la 3e division de cavalerie. La IIe armée du prince Frédéric-Charles était augmentée du IIe corps, et allait pouvoir s’avancer avec la garde prussienne et six corps, — les IIe, IIIe, IXe, Xe, XIIe (saxon), plus la 5e et la 6e division de cavalerie. La IIIe armée du prince royal, récemment grossie du VIe corps, pouvait marcher désormais avec cinq corps, dont deux bavarois, la division wurtembergeoise, la division badoise et deux divisions de cavalerie. Tout cela, qu’on le remarque bien, était réel, effectif ; le corps le plus éloigné devait se trouver aux plus prochains combats. Certes avec de telles forces les Allemands auraient peut-être pu montrer plus de hardiesse ; ils préféraient procéder méthodiquement, ne rien risquer, ne s’engager dans ce qu’ils ont appelé « la poursuite » qu’après avoir réuni tous leurs moyens d’action. Ils n’avaient que l’apparence de l’audace par ce tourbillon de cavalerie qu’ils jetaient aussitôt en avant, qui les précédait souvent de plusieurs marches et qui avait pour eux l’avantage de battre et de démoraliser le pays, de les éclairer en masquant à nos yeux leurs desseins et leur marche. Au fond, ce plan d’invasion à outrance, dont ils commençaient l’exécution dès le 8, était pour notre malheur