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sang-froid et à la confiance qu’on prétendait garder, on se flattait assurément. Le fait est que pendant quelques jours, à partir de la nuit du 6 au 7, les résolutions et les projets variaient d’heure en heure à mesure que les nouvelles arrivaient. Tantôt, sous le premier coup d’aiguillon de la défaite, on avait comme une velléité de rallier tout ce qu’on avait de troupes et de reprendre sur-le-champ l’offensive ; tantôt, — et on en était là dès la matinée du 7, — on songeait à ramener l’armée tout entière à Châlons, on demandait même assez naïvement à Paris quel effet produirait cette retraite générale. Puis, soit qu’on eût réfléchi, soit que les nouvelles de Paris ne fussent point encourageantes, on finissait par se résoudre à se concentrer provisoirement sous Metz en attendant de prendre un parti. Naturellement cette indécision de pensée et de volonté se traduisait pendant quelques jours en une multitude d’ordres incertains, saccadés et contradictoires. On disait d’abord au général de Failly de se retirer sur Châlons, le lendemain, on voulait le ramener en Lorraine. Dans une seule journée, le matin on lui prescrivait de « marcher aussi vite que possible sur Toul, » d’où il pourrait être « appelé à Metz ; » dans l’après-midi, on lui disait : « L’empereur annule cet ordre, et vous prescrit de vous diriger sur Paris en suivant la route qui vous paraîtra la plus convenable. » Le 7 août, le 6e corps de Canrobert, qui était à Châlons, mettait une de ses divisions en chemin de fer pour Nancy ; le lendemain, cette division était renvoyée à Châlons. Le 9, nouvel embarquement pour Metz. On faisait si bien qu’une partie du 6e corps, devancée sur le chemin de fer par les coureurs ennemis, ne pouvait plus passer. Le maréchal Canrobert ne cachait pas qu’il voyait « un peu de décousu dans les ordres donnés. »

C’était le triste signe des fluctuations du quartier-général entre tous les projets qu’il caressait, abandonnait ou reprenait tour à tour. Que faire ? On ne le savait plus. La retraite sur Châlons offrait certainement des avantages. On n’en pouvait plus douter : le premier choc avait suffi pour révéler une effrayante inégalité de forces, la ligne de bataille française se trouvait déjà rompue ; l’armée se voyait coupée, menacée d’être débordée. En revenant sur Châlons, on se repliait sur la France, on s’appuyait sur Paris, on était en mesure de se concentrer, de rallier tous les renforts qu’on pourrait réunir, et on échappait dans tous les cas à un péril imminent. C’était la première pensée de l’empereur, et c’était aussi la pensée du général Trochu, qui, étant alors à Paris, jugeant la situation avec la plus rare sûreté de coup d’œil, écrivait à un aide-de-camp du souverain, au général Waubert de Genlis, le 10 août : « Le répit que vous donne l’ennemi veut dire qu’il évacue ses blessés, fait prendre leur équilibre à ses têtes de colonnes, et qu’il opère sa concentration définitive : elle comprendra trois armées, dont l’une au moins aura